top of page
  • zelinelebeau

Carpe Diem




Parentis-en-Born, Juillet 1991


Deux mois ! Il allait récurer les chiottes du camping pendant deux mois ! Les quelques heures de présence au bureau d’accueil ne compenseraient pas celles passées dans les sanitaires, à effacer les traces laissées par des vacanciers indélicats. Son père ne plaisantait pas lorsqu’il avait annoncé lui avoir trouvé un boulot de merde ! Une manière détournée de le punir parce qu’il avait osé… « foirer » son année de terminale. Il n’était pas le premier à qui cela arrivait et ne serait pas le dernier ! Pourtant, son père ne décolérait pas. Être recalé au bac n’était pas un drame en soi, sauf lorsque cela aurait pu être évité par un minimum de travail sérieux. Ce qui n’avait pas été le cas pour Hervé.


En plus, il se sentait redevable envers ses parents. Surtout depuis qu’il leur avait enfin avoué son « terrible » secret. Son paternel avait gardé le silence pendant de très très longues minutes avant de le regarder de nouveau droit dans les yeux. Hervé n’en avait pas mené large. Il pensait connaître ses parents et prévoir leur réaction. Ce silence prolongé avait mis ses nerfs à rude épreuve. La grande main rugueuse de son père était alors venue secouer affectueusement sa tête tandis qu’il exprimait son ressenti sur cette soudaine déclaration : « Fils, ne doute jamais de toi. Ne laisse personne te dicter ta conduite et emmerde tous les connards qui croiseront ta route, qu’importe ce que tu penses être… Mais tu n’échapperas pas à ta punition ! Ne crois pas que je vais avoir pitié de toi. Tu vas devoir assumer cette année sabbatique que tu viens de terminer ! ».


Hervé n’avait pas pleuré… jusqu’à ce que l’étreinte rassurante des bras de son père ne l’étouffât, sous l’œil larmoyant de sa mère qui avait assisté à la scène depuis la porte de sa chambre. Oui, il allait faire ce travail. Sa manière de les remercier de l’avoir accepté tel qu’il était. D’autant qu’il n’avait pas réussi à trouver un autre job. Il n’avait donc pas le choix.


Heureusement, il était hébergé chez Tatie Annie, la sœur de sa mère, ce qui éviterait de déduire de sa paie l’hébergement en tente offert par ses futurs employeurs. Bien qu’il ne les vît pas souvent, il adorait sa tante, chaleureuse et toujours bienveillante ainsi que son cousin Gaétan, plus jeune de seulement deux mois – ce qui était d’une grande importance dans leur relation ! –. Grâce à lui, il supporterait vaillamment son triste sort.


Et quoi de mieux qu’une fiesta dès le premier jour pour oublier ses tracas ! Apparemment, la première « Sardinade » de l’été avait lieu ce soir, au bord de l’étang. Son cousin comptait bien l’y traîner à la rencontre de sa petite bande de copains habituels. Il n’appréciait pas tellement les sardines grillées, cependant le bal populaire, après le repas, effacerait le désagrément des effluves tenaces de poissons qui flotteraient encore dans les airs. Cette nouvelle sur le petit-déjeuner lui apporta un regain d’énergie pour affronter sa première journée.


À peine deux kilomètres en vélo à parcourir et le Camping Pipiou apparut à sa vue. Le rire sardonique de Gaétan résonnant dans son dos, Hervé ouvrit la porte du petit bâtiment qui abritait la Réception, un sourire forcé aux lèvres. Pour un peu, il aurait préféré arriver seul au purgatoire ! Dommage que son père n’ait pas réussi à lui trouver une place au Musée du Pétrole. Ça aurait été plus… moins… Bref, mieux quoi !


***


Finalement, cette première journée n’avait pas été aussi terrible qu’il le pensait. Les horaires lui permettraient de faire un tour à la plage en fin de soirée puisqu’il ne travaillerait que rarement après 15 heures. Gaétan pourrait passer le prendre avant d’aller à Biscarosse ou Mimizan terminer la journée. Ce nouveau programme lui convenait parfaitement ! En plus, les patrons avaient l’air plutôt sympas et ses jeunes collègues l’avaient mis tout de suite à l’aise.


Le soir venu, bien que nerveux en pensant aux retrouvailles avec tous les amis de Gaétan qu’il n’avait pas revus depuis ses quinze ans, Hervé se dépêcha de se préparer, enfilant un simple jean et son tee-shirt fétiche des Guns’N’Roses. Un dernier regard dans le miroir de la salle de bain le fit pourtant grimacer. Il n’aimait pas l’image que lui renvoyait la glace, celle d’un garçon qui se cachait derrière une tignasse de cheveux rebelles, trop longs pour mettre en valeur son visage et d’un châtain fade. S’il conservait cette coupe, c’était pour la simple raison qu’elle lui offrait un rempart contre le monde extérieur, dissimulant ses disgracieuses taches de rousseur enfantines, ses lèvres beaucoup trop fines pour un garçon, et quelques boutons qui persistaient malgré les soins qu’il leur portait. Même ses yeux étaient quelconques, d’un triste marron, et surmontés de sourcils trop fournis pour sa figure ronde. Et encore, il n’évoquait pas le reste de son corps, avec ces kilos superflus qui lui pourrissaient la vie depuis qu’il avait intégré ce lycée rempli de gosses de riches pédants et médisants. Ce soir, il voulait juste s’amuser et oublier le reste. Il rejoignit Gaétan qui piaffait d’impatience sur la terrasse.


Une fois sur place, l’odeur des sardines grillées chatouillant désagréablement ses narines, Hervé salua timidement une partie de la fameuse bande : Tom, Fabien, les filles, Mélanie et Flavie considérées comme le « duo infernal ». Arriva enfin Paul, qui était en train d’apporter une partie de la première tournée de boissons. Il était accompagné par un autre garçon qu’Hervé ne reconnaissait pas. Il l’observa, admirant la démarche chaloupée qui évitait à l’inconnu de bousculer les autres jeunes qui attendaient le début de la véritable soirée : le bal !


Alors que Gaétan faisait les présentations, les yeux du dernier arrivé accrochèrent ceux d’Hervé qui n’entendit même pas le prénom que son cousin lui donna. Il était plongé dans ce qui ressemblait à deux étincelants joyaux d’obsidienne.

Scotché par un seul regard. Il était dans la m… mouise !


Le nouveau venu était aussi différent de lui que possible : grand brun, un corps aux proportions rêvées mis en valeur par un slim noir et un haut blanc qui moulait à la perfection son buste. Une petite boucle d’oreille ornait discrètement son oreille gauche. Il ne devait pas être de Parentis parce que tous les autres lui sautèrent dessus pour fêter son arrivée, rompant la connexion entre les deux garçons. Les filles hurlaient des « Baptisteeeee ! » à la manière des fans de Patrick Bruel. Le jeune homme se prêta volontiers aux délires de ses groupies et salua son petit public de plusieurs courbettes. Lorsqu’il se redressa une dernière fois, il offrit un sourire ravageur à la cantonade puis termina son tour de salutation par Hervé. Il lui adressa un petit clin d’œil complice avant de lui serrer la main. Hervé n’avait toujours pas prononcé une parole.


Hors de question qu’il se prenne la honte devant les amis de Gaétan. Il allait devoir faire plus attention à son comportement. Seul son cousin connaissait son secret, et Hervé n’avait pas souhaité mettre le reste de l’équipe au courant de ce qui ne regardait que lui après tout. Il ne voulait pas que son orientation sexuelle soit sujette à débat. Gaétan assurait que tout le monde s’en foutait, lui en était nettement moins sûr. D’ici la fin des vacances peut-être aurait-il changé d’avis ?


Pour l’instant, il voulait oublier cette douce sensation qui se répandait progressivement dans son corps. Ce fourmillement annonciateur d’émotions qu’il n’était pas prêt à vivre. Pas encore. Alors qu’il n’avait pas complètement assumé ses propres désirs. Hervé était vierge de toute expérience, pas qu’il en était fier, à l’exception de quelques attirances à sens unique et donc sans lendemain. Ainsi, personne n’avait retenu son attention pour qu’il s’essaya à débuter une quelconque relation.


Il sentait les yeux de Baptiste peser sur lui, régulièrement, légèrement insistant. Autour de lui, tout le monde s’amusait, se chamaillait, sans remarquer ce petit manège. Aussi peu discrètement, il dévisageait l’objet de sa déconcertante fascination. Un jeu du chat et de la souris visuel. La pénombre camouflait la rougeur des joues d’Hervé dès que Baptiste le surprenait à l’espionner également. Et cela se produisit plus d’une fois ! Il n’arrivait pas à en détacher ses yeux. Le spectacle du jeune homme, en pleine discussion avec les autres garçons, le captivait littéralement. Son visage avenant, loin d’être un canon de beauté, respirait un certain charme et une assurance qui attirait ses interlocuteurs, lui compris. Hervé trouvait adorable son nez en trompette et cette petite fossette qui décorait son menton.


Oh merde ! Nouveau croisement de regard. Grillé une nouvelle fois ! Ces yeux semblaient bien trop perçants pour être normaux. Ils plongeaient en lui si facilement, le laissant perturbé et souhaitant… Se pourrait-il que Baptiste soit comme lui ?

Du remue-ménage autour des filles l’obligea à revenir sur terre. L’arrivée d’Aline compléta la petite troupe. Une grande brune, rondelette, toute mignonne et toujours pleine d’entrain. C’était sa préférée, celle avec qui il s’entendait le mieux, en dehors de Gaétan, bien entendu. La fête pouvait commencer.


C’était comme si la séparation des trois dernières années n’avait jamais existée. Sans le lui avoir avoué, Hervé enviait son cousin et sa bande de copains, des potes sincères et généreux, peu sujets aux mesquineries et méchancetés auxquelles lui était habitué de la part des adolescents qu’il fréquentait. Des amis, il en avait tellement peu qu’une seule main suffisait pour les compter. Il chassa aussitôt les pensées désagréables qu’il sentait arriver pour se plonger dans l’ambiance festive de cette première Sardinade.

La complicité unissant les compagnons de Gaétan déteignit complètement sur lui. De réservé, il sortit progressivement de sa coquille pour lancer piques et boutades à son tour. Le seul qu’il n’osait pas « attaquer » pour l’instant, c’était Baptiste. Par contre, celui-ci ne se privait pas pour le provoquer. Hervé avait d’ailleurs surpris le regard interrogateur de Gaétan sur eux, bien qu’ils ne fussent pas l’un à côté de l’autre.

Être au centre de l’attention le mettait mal-à-l’aise. En règle générale, il évitait les situations qui le plaçaient en avant préférant de loin observer plutôt que participer. Ce soir, il faisait des efforts pour sortir de sa carapace. Ici, cela lui paraissait facile. Sauf lorsqu’une certaine personne le scrutait trop fixement. Il profita du voyage d’Aline vers le bar pour l’accompagner, prétextant qu’elle avait besoin d’une paire de bras supplémentaire pour l’aider à porter les boissons. Une diversion peu subtile pour s’éloigner de l’élément qui perturbait sa sérénité fragile.


Quelques bières plus tard, le jeune homme laissait tomber ses réserves et ses craintes pour suivre Aline sur la piste de danse. Elle s’éclatait joyeusement sur les notes endiablées essayant de l’entraîner dans sa douce folie. Hervé ferma les yeux et laissa la musique prendre possession de son corps. Il oublia tout ce qui n’était pas lui. Ses bras et ses jambes bougeaient de leur propre volonté. Il n’avait pas le rythme dans la peau comme sa voisine, mais il s’en moquait ce soir. Là maintenant, il était bien, légèrement euphorique, déconnecté de la réalité.


Un corps derrière lui venait de temps en temps frôler le sien, en douceur malgré les mouvements saccadés des danseurs. Étonné de sentir sa peau se hérisser d’électricité, Hervé s’apprêtait à se retourner vers Aline, lorsqu’il sentit deux mains glisser lentement sur ses bras jusqu’à venir caresser les siennes. Deux mains qui n’appartenaient pas à la jeune fille, puisqu’en ouvrant les yeux sous l’effet de la surprise, il la vit, trois pas plus loin, dansant avec Mélanie et Flavie.


Il était maintenant clair que Baptiste tentait sa chance. Il semblait assez sûr de lui pour prendre le risque de se faire rejeter par Hervé. Or s’il tenait compte de ses propres réactions, il était « presque » prêt à accepter ses avances.


Qu’est-ce qui le retenait de céder ? C’était si simple de laisser son corps parler en mettant son cerveau sur pause. Plus de questions. Oublier les crampes d’appréhension qui se propageaient gaiement en lui. Ne plus se sentir mal à l’aise et si hésitant. Le doute, il avait l’impression de ne connaître que cet état. D’ailleurs, en y pensant, était-il seulement capable de se dévoiler au milieu d’une foule d’inconnus ? Une petite partie de lui exultait parce que… envie de s’abandonner, il en avait. Assurément ! Les frissons mêlés de plaisir et d’angoisse se disputaient la première place dans son abdomen.


Baptiste devait être télépathe. Tout en dansant, il poussait Hervé vers la partie de la piste la moins éclairée, là où les pins délimitaient l’esplanade dédiée à la Sardinade. Ses mains n’avaient pas quitté ses bras ou sa taille. Lui n’avait rien fait pour les y enlever. Avait-il pris sa décision ? Profiter de cette soirée ? De cet avant-goût de l’été malgré son travail au camping ? Il aurait beau travailler une bonne partie de la journée, le reste du temps serait tout de même des vacances pour lui : aller à la plage ou au bord du lac, sortir avec des amis, faire la fête. Autant d’occasions qu’il n’avait pas eues depuis… très longtemps ! Même si ce n’était qu’une fois, le temps de cette soirée, il pourrait ressentir ce que cela faisait d’être désiré.


Et surtout Baptiste lui plaisait vraiment, un bonus non négligeable dans l’équation. Danser avec lui ne l’engageait à rien de plus, n’est-ce pas ? Alors pourquoi ne pas se laisser porter par la musique et l’instant présent ? De quoi engranger des souvenirs pour les tristes jours qui ne manqueront pas de suivre ces deux mois.

Lorsque les mains de Baptiste revinrent caresser les siennes, Hervé croisa leurs doigts et serra doucement.


Invitation acceptée.


Un léger mouvement des doigts, un pouce effleurant un bout de peau, deux corps se rapprochant et s’ajustant, dos contre poitrine. Quatre mains qui vinrent se serrer sur le ventre d’Hervé alors emprisonné dans une étreinte sensuelle. Et il se laissa guider par Baptiste qui menait la danse. Les chansons défilaient, dance, électro, slows, pourtant le couple de danseurs restait plongé dans un espace parallèle, n’existant que pour et par eux.


La température s’éleva d’un cran supplémentaire dès lors qu’une main se faufila sous le tee-shirt d’Hervé, traçant des arabesques brûlantes sur son ventre tandis que l’autre maintenait une légère pression sur celle du jeune homme.


Le corps traversé de sensations inconnues et grisantes, Hervé éprouvait de plus en plus de difficultés à respirer normalement, traversé par une myriade de papillons qui s’agitaient et tourbillonnaient derrière la peau caressée par Baptiste.


Ils dansaient langoureusement, toujours collé l’un à l’autre. Hervé sentait contre lui que Baptiste était loin d’être insensible à leur rapprochement. Son propre sexe comprimé par le jean le mettait au supplice de faire… quelque chose. Il gigota des fesses, cherchant un peu de soulagement, mais ne réussit qu’à exciter encore plus son partenaire. Un gémissement sourd lui échappa lorsque des ongles lui griffèrent le ventre en réponse à son mouvement.


Brusquement, Baptiste le retourna vers lui, agrippant ses hanches pour le maintenir à nouveau tout contre lui. Et encore une fois, les yeux d’Hervé furent happés par l’hypnotique regard que l’excitation faisait briller dans la pénombre. Inconsciemment, sa langue vint lécher ses lèvres, détournant l’attention de son compagnon dans leur direction.


Ils étaient si proches. Il ne restait que quelques centimètres entre… Baptiste fondit sur sa bouche et déposa plusieurs baisers légers avant de tenter de glisser la pointe de sa langue entre ses lèvres. Hervé résista à peine quelques secondes. Il voulait ce baiser ! Oh oui ! Pour se persuader qu’il n’était pas dans un de ses rêves. La réalité avait bien meilleur goût !


Ils ne dansaient plus. Cramponnés l’un à l’autre, leurs bouches se découvraient furieusement. Impossible de déguster l’instant, ils étaient pris par une urgence qui les dépassait.


Les mains d’Hervé décidèrent de participer à la fête et voyagèrent à la découverte du corps frémissant qui était à leur portée. Ce jeune corps qui n’attendait qu’un signe pour se mettre en action. Frottement de bassin, langue aventureuse, lèvres gourmandes, mains baladeuses.


Hervé pouvait se l’avouer, caresser la rondeur d’une paire de fesses, il en avait toujours rêvé. Il laissa libre cours à son envie. Il était transporté dans une sphère d’émotions, de désir et de pulsion.


Baptiste, apparemment dans le même état que lui, emporté par la passion, lui mordit soudain la lèvre inférieure. Hervé en éprouva une forte douleur mêlée d’un trait de plaisir. Surpris, il se retrouva sur le point de jouir, comme le puceau qu’il était et qui découvrait trop vite les délices de la chair.


–– Oh mon Dieu ! soupira-t-il, étonné.


Le son de sa voix fit exploser la bulle dans laquelle ils se trouvaient emprisonnés depuis de longues minutes. Les mains d’Hervé retombèrent le long de son corps alors qu’il se reculait d’un petit pas. Baptiste le regardait reprendre ses esprits, hésitant à bouger. Pourtant, il se décida à lever une main vers lui.


–– Ecoute Hervé… Je…, tenta-t-il en effleurant sa joue.


Ce dernier ne le laissa pas poursuivre. Chamboulé par cette passion trop fougueuse, il recula encore et prit la fuite. Pas très courageux certes, mais il avait besoin de faire le point. Jamais, il n’avait laissé ses désirs prendre le dessus. Or ça, c’était bien trop d’émois et de troubles pour lui… Trop vite… Trop tôt…


Hervé se faufila entre les fêtards, cherchant à s’échapper dans la nuit. Une main attrapa son bras, stoppant sa retraite précipitée.


–– Eh cousin ! Qu’est-ce que…, commença Gaétan, inquiet de ce comportement étrange.

–– C’est bon G., j’ai besoin de sortir de la foule, c’est tout, essaya-t-il de le rassurer en se dégageant le bras.

–– Sûr ?

–– Puisque je te le dis ! Je vais faire un tour sur la jetée et je reviens. OK ?


Hervé se détourna, aperçut Baptiste plus loin qui l’observait toujours, et s’éloigna sous le regard interrogateur des deux garçons.


Enfin seul, le jeune homme marcha tranquillement jusqu’au bout de la jetée. Il se laissa tomber sur un des bancs vides et passa les minutes suivantes à fixer le reflet de la pleine lune sur le lac, essayant de faire le vide dans sa tête. Les échos de la musique flottaient jusqu’à lui, assourdis.


Hervé sursauta lorsqu’une ombre apparue et qu’un corps se glissa subrepticement à côté de lui, accompagné d’une senteur boisée qu’il reconnut aussitôt.


–– Je suis désolé… Excuse-moi. Je ne voulais pas…, murmura juste Baptiste.


Lui faire perdre la tête ? Le mordre ? Lui faire peur en s’asseyant ? Il ne le précisa pas. Hervé resta silencieux.


–– Tu ne cries pas au scandale donc je peux supposer que tu n’as rien contre… moi ?

–– …

–– Tu sais que tu es libre de m’envoyer bouler si je te fais chier, poursuivit-il nonchalamment.

–– Pour être honnête, je ne sais pas réellement ce que je veux, lui avoua Hervé en chuchotant.

–– Si tu as besoin d’aide pour te décider, je suis à ton service…


La voix rauque ne laissait aucune ambiguïté sur ce qu’il désirait réellement.


Hervé oserait-il ? Faire ce que sa tête et son corps lui hurlaient depuis qu’il avait détalé loin de l’attirante tentation : « Mais putain, qu’est-ce que t’attends pour lui sauter dessus ? Le dégel ? ». En vérité, il mourait d’envie de recommencer à embrasser les lèvres charnues, de goûter cette bouche aux saveurs douce-amère de bière.


Il ne s’était jamais considéré comme un garçon attirant, mais plutôt du genre banal et sans attraits particuliers. Des cheveux bruns légèrement ondulés, des traits encore assez enfantins, un corps qu’il camouflait plus qu’autre chose. Pas qu’il ait honte de lui, quoique sûrement un peu… beaucoup. Hervé et son corps ne vivaient pas réellement en symbiose. Il détestait ses maudites taches de rousseur qui pointaient leur nez dès qu’un rayon de soleil apparaissait, ses bras trop courts, son ventre pas assez plat et ses jambes trop longues…

Pourtant, il avait bien séduit Baptiste puisque celui-ci revenait à la charge, non ?


–– Arrête de réfléchir…, souffla ce dernier, comme s’il avait entendu les rouages du cerveau de son voisin tourner à plein régime. Ce soir, tu as le droit de t’amuser, de profiter de ce que la soirée t’offre. Peut-être que cela te plaira ?


Plaire ? C’était déjà le cas ! Il avait simplement… peur de tout foutre en l’air avec son inexpérience. Sa couardise venait essentiellement de là, et de son manque de confiance en lui-même. Prenant une profonde respiration, Hervé choisit finalement d’agir au lieu de répondre. Il posa sa main sur le banc, dans le petit espace qui séparait leur deux corps. Son cœur tambourinait dans sa poitrine, faisant concurrence aux vibrations des basses de la musique qui leur parvenaient. Il se sentait vivant ! Sa main poursuivit son chemin et se posa sur la jambe de Baptiste qui resta immobile, conscient qu’il en faudrait peu pour effaroucher de nouveau celui qu’il désirait depuis le début de la soirée.


Le nuage qui recouvrait la lune se dissipa, laissant la lumière de cette dernière éclairer leurs visages, celui de Baptiste orné d’un sourire ravageur. Ses prunelles brillaient d’une lueur nettement plus gourmande et sa bouche l’invitait, mutine, à poursuivre l’aventure.


Encouragé, Hervé vint la butiner avec une hésitation désarmante d’innocence.


Les mains de Baptiste se posèrent sur ses joues, sans pression, le laissant libre de tout mouvement. En confiance, toutes réticences abandonnées, le jeune timoré se transforma alors en aventurier libertin, mettant dans son baiser tous les espoirs qu’il avait réprimés. Aux concerts des grenouilles répondit celui de leurs gémissements de plaisir.


Le besoin de respirer les obligea à se séparer, de quelques centimètres, pas plus. Puis, front contre front, ils laissèrent la tension redescendre lentement, des doigts cherchèrent une main et s’y accrochèrent amoureusement. Les deux garçons se contemplèrent, en silence, deux sourires complices illuminaient leurs visages.


Hervé ne regrettait pas sa décision. Il avait apprécié chaque seconde de ce baiser. Son premier véritable baiser. Il ne souhaitait pas que s’arrête le flot d’émotions qui vibraient en lui. Maintenant qu’il avait goûté aux lèvres de Baptiste, il en voulait plus. Il se sentait sur un nuage, le cœur aussi léger qu’une plume. Et c’était une extraordinaire impression. Fallait-il être stupide pour se priver de tels instants par crainte de l’après ? Il le dévisageait avec convoitise éprouvant l’irrépressible désir de recommencer. Sa tête se pencha à nouveau vers la bouche légèrement entrouverte, et avant qu’il ne le réalise, son flirt s’était levé et le tirait par la main pour le mettre debout.


–– Viens, on va rejoindre les autres !


Une pointe de déception se ficha dans le cœur d’Hervé, heureusement un simple regard sur Baptiste lui montra sans doute possible qu’il ne comptait pas en rester là. Ce qui le rassura. Après tout, la nuit ne faisait que commencer !


Ils revinrent calmement se mêler à la foule, main dans la main. Ils retrouvèrent leur petit groupe d’amis qui dansait en cercle autour d’un Tom déchaîné. Hervé aperçut Gaétan qui le surveillait de nouveau, perplexe, jusqu’au moment où il remarqua leurs mains, toujours enlacées. Alors il adressa un sourire entendu à son « grand » cousin, levant sa bière en signe de félicitations silencieuses.


Après quelques heures de folie, le bal touchant bientôt à sa fin, la troupe décida de terminer la soirée sur une des petites plages bordant le lac, peu décidés à se séparer déjà, à l’exception de Fabien qui partit rejoindre sa copine à Mimizan plage. Prévoyant, Tom avait stocké dans le coffre de sa voiture quelques munitions en prévision d’une telle éventualité. La douceur de cette nuit, au ciel dégagé et fortement étoilé, était propice à la détente et au bonheur simple d’une réunion entre amis. Hervé n’arrivait toujours pas à réaliser qu’il sortait avec le mec qui marchait devant lui.


Silencieusement, Aline se glissa aux côtés d’Hervé.


–– Arrête de reluquer ces fesses ! se moqua-t-elle de lui, son coude venant frapper gentiment ses cotes.

–– Mais euh ! Pourquoi t’es méchante avec moi ? se plaignit-il, quittant à regret le charmant spectacle qu’il avait sous les yeux.

–– Parce que je t’aime bien, grand nigaud !


Elle en profita pour crocheter son bras sous celui d’Hervé tandis qu’ils avançaient paisiblement derrière les autres. Elle avait décidé de mettre son grain de sel.


–– De quoi avais-tu peur ?


Bingo !


Hervé réfléchit quelques secondes avant de lui répondre :


–– De me lancer. De laisser à quelqu’un la possibilité… de me blesser, de me rejeter, de jouer avec mes sentiments ? Et si je ne lui plaisais plus demain ?

–– On est tous dans le même cas, tu sais. Mais c’est mieux que de rester tout seul, non ? Vivre, c’est prendre des risques et des paris sur l’avenir. À toi de décider si tu veux avoir des regrets… Baptiste est quelqu’un de bien, un mec sérieux. Peut-être pas celui qui fera ton bonheur… en revanche il pourrait être celui qui fera de cet été un souvenir mémorable ?


Et sur ces paroles, elle lui décocha un clin d’œil malicieux avant de le pousser directement dans les bras du garçon en question, qui s’était arrêté pour les attendre. Ils traversèrent quelques pins qui bordaient la plage avant de rejoindre les autres et de s’installer sur le sable, plus ou moins en rond.


Tom, égal à sa réputation de tombeur, était déjà en « grande conversation » avec une des collègues d’Hervé, la jolie Sarah qui était assise entre ses jambes, tandis que Paul donnait des cours de langues à la petite anglaise qui avait craquée pour le jeune frenchie. Quant à Gaétan, il boudait puisqu’il se retrouvait le seul garçon sans « compagnie ». Il grommelait que personne ne faisait attention à lui alors qu’il était un si charmant jeune homme. Les trois filles se liguèrent contre lui, lui trouvant une liste sans fin de défauts rédhibitoires pour une future-ex petite amie. Comprenant qu’il n’aurait pas le dernier mot contre elles, il alla déranger Tom pour lui emprunter de quoi noyer son chagrin.


Privées de leur victime, Mélanie et Flavie décidèrent de jeter leur dévolu sur Hervé et Baptiste qui s’étaient installés confortablement, Hervé allongé sur le sable, sa tête reposant sur les jambes de Baptiste. Ce dernier lui caressait négligemment les cheveux, tout en discutant à voix basse.


Les deux tourtereaux ignorèrent les taquineries bon enfant que leur envoyaient les pipelettes peu décidées à s’arrêter de cancaner : « …pour un gars qui se disait timide, il cachait bien son jeu… » ou encore « …et vous étiez si mignons tous les deux collés comme ça… » et puis «…à vous deux, vous avez enflammé la piste, quel show... » et patati et patata... Hervé sentait ses joues cramoisies le chauffer. Heureusement que la pénombre le dissimulait aux regards peu subtils des commères voisines. Il fallait trouver quelque chose qui les fasse taire une bonne fois pour toute. Il avait bien une petite idée.


–– Embrasse-moi, Baptiste, souffla Hervé, on va leur donner une leçon de savoir-vivre.

Ils échangèrent un coup d’œil complice. La tête de Baptiste s’abaissa doucement tandis qu’une de ses mains partait à l’aventure sous le tee-shirt d’Hervé. La main restée sur les cheveux en agrippa une poignée pour tirer la tête en arrière, donnant ainsi un meilleur accès aux lèvres du jeune homme étendu. Leur baiser démarra tendrement puis très vite, dès que leurs langues se rencontrèrent, il se transforma en un baiser passionné, un de ceux qui vous envoie dans une autre dimension, un roulage de pelle monstrueux accompagné de petits bruits « so hot ». La main de Baptiste voyageait maintenant vers le sud, vers une contrée qui n’en demandait pas tant. Les filles ouvraient des yeux ronds, attirées par le spectacle comme des abeilles par le miel. Enfin silencieuses, elles poussèrent des soupirs d’envie, rêvant elles aussi de rencontrer un prince charmant qui les embrasserait de la même manière.


–– Fermez la bouche, les filles, vous bavez, se moqua d’elles Aline, brisant leur fascination, sous les éclats de rires étouffés des amoureux qui reprirent de plus belle leur activité.


Hervé ne voulait plus bouger. Il se sentait enfin à sa place. Oui, Aline avait raison, il avait deux mois pour apprendre à connaître Baptiste. Deux mois, finalement c’était un laps de temps très court dans une vie ! Il allait profiter de l’instant présent et voir où cela le conduisait. Mais là maintenant, c’était Carpe Diem !


Déjà deux semaines qui avaient filées sans qu’il les vît passer. Son boulot n’était pas si désagréable qu’il l’avait craint et les nuits étaient encore plus excitantes qu’il l’avait espérées. Il remercierait son père pour cela, quoiqu’il ne fût pas certain de vouloir lui détailler ses exploits avec la bande, ou Baptiste. Non, c’était son petit jardin secret.

Il avait toujours des réticences à exprimer ce qu’il désirait réellement. Son petit copain – qu’est-ce qu’il adorait prononcer à voix basse ces trois mots lorsqu’il était seul – ne lui en tenait pas rigueur et l’apprivoisait jour après jour, l’entourant d’une attention soutenue et de gestes à la fois tendres et coquins. Seul dans son lit, dès qu’Hervé rêvassait aux moments d’intimité qu’ils avaient partagés jusque- là, il finissait toujours par glisser une main sur son sexe pour soulager cette douloureuse pression qui le mettait au supplice.


Sauf hier soir.


Quelqu’un s’en était chargé pour lui !


Il avait encore des étoiles dans les yeux en repensant à ces caresses qui l’avaient amenées aux portes du Paradis. Hervé s’était également découvert un côté voyeur, admirant avec quel soin son compagnon avait enfilé le préservatif sur sa verge dressée. Il avait gardé les yeux rivés sur sa queue qui allait et venait si divinement bien dans l’accueillante bouche de Baptiste. Rien que d’y resonger, son membre reprenait vie. Il devait arrêter cela tout de suite, sinon il serait dans l’obligation de se trouver rapidement un coin isolé. Plus que quelques heures et il pourrait le voir à nouveau.


Il espérait que Baptiste avait aussi reçu ses résultats de dépistage ce matin. Du fait de son inexpérience dans « la chose », il n’avait pas pensé au précieux sésame, au contraire de son petit ami, qui était un utilisateur convaincu du petit morceau de latex. Et il lui avait clairement fait comprendre qu’il était impensable d’envisager leur relation sans protection, même si le risque de se transmettre une saloperie était proche de zéro. La seule concession que Baptiste avait bien voulu lui accorder, était le test sanguin, lorsqu’il lui avait fait avouer, avec force persuasion, les yeux dans les yeux, son souhait d’un peau contre peau. Hervé ressentait encore son malaise à se dévoiler aussi intimement à quelqu’un. Sauf que Baptiste n’était plus n’importe qui. En moins de quinze jours, il avait pris possession d’une partie de son cœur. Une très grosse portion…


Dès le lendemain de cette discussion, ils s’étaient rendus au laboratoire, ensemble.


Ce soir, toute la bande se retrouvait à Mimizan pour faire la connaissance de Frédérique, la petite copine de Fabien, qui finissait son service dans un glacier à 23 heures.


Installés confortablement en terrasse d’un café, face à la mer, les discussions allaient bon train alors que la deuxième tournée de boissons venait d’être servie. Hervé sirotait son gin Kas, profitant de l’échange animé entre les autres garçons pour observer son Baptiste. Lorsqu’un sujet le passionnait, celui-ci devenait un véritable moulin à paroles que même les filles n’arrivaient pas à suivre ou stopper. Et lui, il l’écoutait religieusement, buvait le moindre de ses mots. Hervé l’admirait pour ses prises de position, sans peur de la réaction des autres. Baptiste ne cherchait jamais à convaincre son interlocuteur, seulement à le faire réfléchir. Il trouvait ce comportement remarquable, surtout de la part d’un gars de moins de vingt ans.

L’alcool commençait son lent travail de désinhibition. Hervé appréciait chaque minute de cette soirée. Devenu un peu plus audacieux, il attrapa la main de Baptiste qui reposait sur la table. Et il joua amoureusement avec, effleurant la peau de lentes caresses puis croisant et décroisant leurs doigts ensemble. Son geste tira un sourire enjôleur du propriétaire de la main, qui poursuivit sa conversation tout en manifestant son contentement par un léger serrement de leurs mains.


Malheureusement, Hervé n’osait pas s’afficher plus en public. C’était déjà un pas énorme pour lui. Alors il se retenait de glisser ses doigts sur la nuque offerte et si proche. Comme il ne s’amuserait pas avec les mèches de cheveux qui voletaient dans la petite brise du soir. Par contre, rien ne l’empêchait de sentir son parfum ou plutôt de le « sniffer » discrètement. Toujours cette même odeur légèrement ambrée et boisée, dont la senteur le rendait dingue. Pouvait-on se droguer aux odeurs ? Il y avait peu de risques d’accoutumance, il pouvait donc succomber à cette addiction en toute sécurité !


L’arrivée de Frédérique coïncida avec le troisième tour de rafraîchissements. Baptiste étant un des « Sam » de la soirée, il se contentait de cocktails colorés sans alcool tandis qu’Hervé restait sur sa valeur sûre de l’été, le gin Kas, n’en déplaise à Gaétan qui trouvait que c’était une boisson de nana.


Un peu plus tard, concentré sur la vue de la plage, Hervé essayait de comprendre ce que fabriquait le promeneur solitaire qu’il observait depuis tout à l’heure.


–– Il y a un problème ? le questionna Aline.

–– Je comprends pas à quoi il joue, l’autre sur la plage ? On dirait qu’il danse tout seul…

–– De qui tu parles, voulut savoir Baptiste.

–– Ben de lui, là-bas sur la plage, expliqua Hervé en tendant le doigt dans la direction d’un point sombre isolé.


Lorsque toute la table éclata de rire, il se retourna, vexé ne comprenant pas cette hilarité générale. Baptiste l’attrapa par les épaules et l’attira contre lui, gentiment.


–– C’est pas grave, Bébé, je crois qu’il est temps que tu arrêtes le gin Kas pour la nuit.

–– Ne m’appelle pas comme ça ! C’est… infantilisant, réussit-il à s’exprimer, le défiant ensuite en lui tirant la langue. Grimace peu mature s’il avait réfléchi trente secondes.

–– Et prendre des poteaux illuminés par les éclairs pour des personnes bougeant sur la plage, t’appelle ça comment ? le nargua Baptiste enfonçant le clou de sa bêtise.


Oh merde ! Pour ne pas aggraver son cas, Hervé se tut et se renfrogna sur son siège, boudant en silence jusqu’à ce qu’il entendît à son oreille, son voisin lui proposer de rentrer plus tôt. Rien que tous les deux. Son cœur fit un looping dans sa poitrine. Il frissonna sous l’intonation de cette voix rauque et les sous-entendus qu’elle laissait planer.


Gaétan lui adressa un regard salace en lui indiquant qu’il se ferait ramener par Paul. Ce détail réglé, les deux garçons adressèrent un au-revoir expéditif à l’ensemble de la bande et partirent rejoindre la voiture de Baptiste.


Ce dernier, une idée derrière la tête, les conduisit jusqu’au lac de Parentis, leur destination favorite. Ils marchèrent un peu sur le sable, côte à côte, devisant de tout et de rien. Ils avaient encore tellement de choses à découvrir l’un sur l’autre. Finalement, ils s’arrêtèrent dans un petit coin tranquille, boisé et isolé. Les nuages dissimulaient la lune, les privant de sa clarté néanmoins, le ciel leur offrait un éclairage intermittent grâce à la lumière des éclairs qui striaient le ciel dans un orage silencieux.


Hervé se sentait l’âme d’un conquérant ce soir, un effet secondaire de l’alcool il en était conscient. Il décida d’en profiter et poussa Baptiste le long d’un pin. L’odeur de résine et de conifère mêlée resterait pour toujours gravée dans sa mémoire, liée à cet été et sa romance avec son premier amoureux, il la sentait imprimée en lui. Que cette histoire dure plus longtemps ou non, il n’oublierait jamais.


Une vision l’obsédait depuis qu’ils étaient arrivés au lac : ils étaient tous les deux clean et les possibilités qui se dessinaient devant lui, le rendaient dingue. Tant qu’il se sentait assez courageux, le jeune homme voulait se lancer, sans se poser de questions. Il réfléchirait demain aux conséquences. Et tandis qu’Hervé laissait ses émotions prendre les rênes, Baptiste se collait contre lui, avec de petits mouvements de bassin qui pressaient délicieusement leurs deux sexes l’un contre l’autre, attisant leur désir.

Posant ses mains sur le tronc, de chaque côté de la tête de Baptiste, il l’embrassa d’abord dans le cou, suçant et dévorant la peau sensible. Ses oreilles ne se rassasiaient pas des soupirs de plaisir émanant de son amoureux. Des mains se glissèrent sous son tee-shirt, parcourant son dos et sa poitrine, répandant des sillons de feu derrière elles. Il ne voulait pas perdre le peu de maîtrise qu’il possédait, alors il agit. Glissant à genoux, il descendit lentement vers son objectif, déboutonna méticuleusement le pantalon et en sortit religieusement une belle queue déjà si dure et perlant sa passion qu’il se précipita dessus, trop vite, laissant ses dents y tracer une douloureuse ligne.


–– Y a pas… le… feu au lac, ché… chéri, grimaça Baptiste qui attrapa les cheveux d’Hervé pour le retenir légèrement.

–– Merde, Tiste. J’suis désolé…


Il se reculait déjà, prêt à partir cacher sa honte lorsque les mains qui le tenaient maintinrent leur pression, l’empêchant de bouger plus.


–– Hé, juste un peu moins de fougue… et le reste suivra, chuchota son partenaire tendrement.

Il posa son front sur le haut de la cuisse de Baptiste, il voulait tellement lui plaire mais la peur de le décevoir, de ne pas le satisfaire le paralysait.


–– Écoute, ne te sens pas obliger de le faire, mon Cœur. Être simplement ici, avec toi dans mes bras me suffit largement. Le reste viendra… en son temps.


Entendre Baptiste lui parler si affectueusement, lui offrir une porte de sortie avec autant de douceur et de tact réduisit à néant la boule d’angoisse qui avait pris forme en lui quelques instants plus tôt. Il releva ses yeux pour contempler deux prunelles brillants dans la nuit. Les doigts sur ses cheveux le caressaient maintenant en petits cercles relaxant et procuraient un calme bienfaisant à ses pensées. Hervé savait ce qu’il désirait : goûter à la friandise dressée à quelques centimètres de sa bouche.


–– Je veux… Allez courage, tu peux le dire !

–– Ne réfléchis pas et fais ce que tu aimerais que je te fasse, lui suggéra innocemment le jeune homme toujours adossé au pin.


Encore une fois, Baptiste épargnait sa pudeur envahissante en le guidant par de petites phrases censées. Un partenaire attentif.


Hervé obéit aux judicieux conseils, ferma les yeux et repartit à la découverte du membre qui vibrait d’impatience le long de sa joue.


Ce ne fut sûrement pas la fellation de l’année cependant, écouter les râles de jouissance de Baptiste tandis que son orgasme montait et lui explosait au visage, valait bien un ou deux hauts-le cœur. Avec lui comme professeur, Hervé comptait se perfectionner jusqu’à faire de ces petits détails techniques des souvenirs dont ils s’amuseraient plus tard. Enfin, il l’espérait.


Les baisers qui suivirent dépassèrent ses rêves les plus imaginatifs. Les traces de sperme furent nettoyées par une bouche gourmande qui déposa timidement dans la sienne les dernières gouttes du précieux liquide. Un partage intense qui le remua profondément.


Cette confiance qui fleurissait entre eux, c’était l’espoir d’une relation équilibrée.

S’abandonner à son tour entre les mains plus expertes de son amant. Dériver sur les vagues de plaisir qui le secouaient.

Rencontrer les étoiles aux travers de deux obsidiennes étincelantes et envoutantes.

Cette nuit-là, après qu’ils se fussent séparés, des promesses plein les yeux, le sommeil d’Hervé fut troublé et agité, son cerveau saturé d’images, d’odeurs, de désirs et de pulsions. Il avait encore sur ses lèvres la saveur si particulière de son amant.

***


Hervé et Baptiste patientaient sur le quai de la gare d’Ychoux, peu pressés de voir le train arriver. Déjà la fin de l’été ! Hervé avait retardé le plus possible son départ, cependant, les cours reprenaient la semaine prochaine. Il n’avait plus le choix. Ses parents l’attendaient de pied ferme à Niort.


Il contempla Baptiste, admirant une nouvelle fois le spectacle qu’offrait celui qui n’avait pas quitté ses pensées et ses soirées depuis leur première rencontre. Il se pinça discrètement. Non, il ne rêvait toujours pas. Ce mec sexy, ce beau brun à la peau dorée et au sourire amoureux, était bien son petit ami. À lui et rien qu’à lui ! Il se découvrait possessif, et cela lui plaisait drôlement.


Il n’aurait jamais imaginé que de cette soirée pouvait naître une si belle histoire. Des liens puissants les unissaient déjà et personne ne pouvait en douter. Souvent, Baptiste commençait une phrase et lui la terminait, ou bien c’était l’inverse. Cela faisait rire les autres, les filles jalousant légèrement cette complicité incroyable, inévitable

.

–– Allez, quoi ! Fais pas ces yeux de cocker, Bébé ! le taquina Baptiste, insistant sur le dernier mot parce qu’il savait combien cela l’énervait. Le téléphone c’est pas fait pour les chiens. En plus, si tu travailles bien, poursuivit-il avec un clin d’œil aguicheur, j’aurais l’autorisation de venir te voir… au moins une fois par mois, peut-être plus !

–– Ouais, je sais. Mais… Merde quoi… Je… Tu… Tu vas me manquer aussi…, bafouilla Hervé sous le coup de l’émotion.


Cette séparation, il la vivait très mal. Pas parce qu’il avait peur que la distance fragilise et détruise leur relation encore toute fraîche, plutôt parce qu’il ressentait déjà ce vide à l’intérieur de son cœur. C’était douloureux l’amour finalement, même lorsque tout allait bien !


Le TER arriva au grand désespoir d’Hervé. Il regarda autour de lui, le quai était désert en cette fin d’après-midi, à l’exception du chef de gare. Il lâcha son sac et sa valise pour étreindre une dernière fois Baptiste, posant sa tête sur l’épaule de ce dernier.


–– J’veux pas partir, Tiste. C’est trop dur…, le supplia-t-il en geignant.


Son compagnon le prit amoureusement par le visage, lui relevant la tête en douceur.


–– Regarde-moi, Hervé. On va y arriver. Tu sais pourquoi ?


Sans attendre de réponse, Baptiste poursuivit :


–– Ce qu’il y a entre nous est beaucoup trop fort, trop intense pour s’étioler avec les kilomètres. Je te promets qu’on en sortira plus fort. OK ? Et puis n’oublie pas que je… Je t’aime, termina-t-il en l’embrassant tendrement, langoureusement après cette déclaration. C’est pour que tu penses à moi pendant ton trajet.


Ils se séparèrent à contrecœur, et Hervé reprit ses bagages avant de monter dans le wagon sous l’œil vigilant du chef de gare impatient. Au dernier moment, il se retourna, laissa tomber ses affaires dans le sas et ressortit en courant se jeter une dernière fois dans les bras de Baptiste. Après un ultime baiser, il lui murmura un « Je t’aime, Tiste » dans l’oreille et courut attraper le train qui démarrait après le coup de sifflet du départ.


La tête contre la fenêtre, Hervé regarda la gare s’éloigner et son petit ami disparaître, un magnifique sourire aux lèvres. Baptiste, il l’avait dans la peau. Le jeune homme avait su traverser et écarter presque toutes ses craintes et ses angoisses, pour l’atteindre en plein cœur.


Le temps viendrait à bout de ses dernières appréhensions.

Il l’avait lu dans son regard, dans ses doigts qui ne voulaient pas le laisser partir, dans l’ardeur de ses derniers baisers.


Il ferma les yeux et le film de leurs vacances se rejoua, rien que pour lui, alors que le train l’éloignait de son amoureux.



Les Divagations de Zéline sont mises à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 3.0 France.

6 vues0 commentaire
bottom of page