Ce jour-là, nous fêtions le deuxième jour le plus chaud depuis trente ans. La température à l’ombre était de... vingt-deux degrés Celsius un 25 juillet. Si cela n’était pas une bonne nouvelle ! Cependant, l’ambiance camp de vacances était gâchée par l’annonce d’une évasion massive. Les Norm’ de la région parisienne s’inquiétaient trop pour savourer ce cadeau du ciel. Au moins une dizaine de ZB2 avaient réussi à franchir les murs de Zombieland1, sur l’ancien territoire de la ville de Chartres, aux portes des Yvelines. Évasion massive pour une dizaine de personnes. C’était un peu fort. Sauf que… il ne s’agissait plus vraiment de personnes au sens rhétorique du terme, n’est-ce pas ! Les Autorités nous avaient parlées de suspects ZB2 en phase de mutation accélérée. Rien de plus dangereux. Les dégâts qu’ils pourraient occasionner seraient irrémédiables pour les Norm’ qui se feraient bouffer. En effet, le ZB2 était sujet à des pulsions d’agressivité inopinées. Ils étaient, en théorie, sous haute surveillance, parqués dans des ghettos, soumis à des contrôles de circulation très stricts. Le gros des forces armées se contentaient de protéger les populations des quatre zones prioritaires de surveillance dont la région chartraine ne faisait pas partie. C’est pourquoi, dans un rayon de cent kilomètres autour de Zombieland1, la surveillance s’accrut considérablement. Le couvre-feu avait aussi été avancé de deux heures, s’étalant maintenant de 17 heures à 7 heures.
Sur ma moto, je roulais en direction de Dreux, sur l’ancienne nationale 12, mon regard alternant droit devant puis sur l’objet installé au-dessus du réservoir. Cette petite boîte rectangulaire, ma ZombieBox, ainsi que je l’appelais affectueusement, avait prouvé son efficacité. Je me sentais en parfaite sécurité grâce à elle. Ainsi qu’au respect strict de trois règles. Le ZB m’avait déjà pris toutes les personnes qui m’étaient proches. Alors, les autres, je m’en foutais royalement. C’était déjà bien assez difficile de faire mon boulot, proprement, et de surveiller mes arrières sans avoir à m’occuper des fesses des inconscients. Trois règles, ni plus ni moins pour survivre.
Règle 1 : Vigilance constante
Règle 2 : Toujours vérifier que le job était correctement effectué, sous-entendu un bon zombie était un zombie éclaté en bouillie pour nourrisson.
Règle 3 : Vivre seul et survivre plutôt que mourir accompagné mais avant l’heure.
Je roulais vers ma nouvelle mission. Contacté par le laboratoire ZYMBIOTEC, laboratoire qui faisait des recherches “ confidentielles ” sur le gène ZB d’après mes sources, j’avais accepté ce travail différent des propositions habituelles. Il fallait préciser que la prime était multipliée par trois. Je devais retrouver, puis ramener saine et sauve une ZB1 enlevée par le groupe de zombies évadés. Bizarre comme mission émanant d’un tel organisme. Les ZB2 en dégénération rapide n’avaient pas pour habitude d’enlever qui que ce soit. Ils les grignotaient en guise de goûter. En règle générale, on me demandait d’achever mes cibles et non de les ramener à bon port. Avais-je eu raison de ne pas refuser ? Oui ! J’avais besoin de cette prime pour retaper ma vieille BMW. La course aux zombies ne se faisait pas sans casse. Avec notre tableau de chasse impressionnant, je lui devais bien ça, à ma fidèle monture. Je devais préciser cependant, qu’elle et moi commencions à nous lasser de cette perpétuelle chasse aux morts-vivants.
Quelques épaves jonchaient les voies, au fur et à mesure que l’on s’éloignait de la capitale. J’entamai un léger slalom, à vitesse constante. Je croisai peu de véhicules. Les Survivants, Norm’ ou ZB1, assez riches pour entretenir un véhicule, ne prenaient pas le risque de sortir en dehors des zones militarisées. Ma ZombieBox restait silencieuse. Un panneau indiqua Dreux à huit kilomètres. Il était temps d’entrer en mode “ Chasseur ”. La photographie de la femme en tête, je bifurquai bientôt dans la bretelle d’accès Dreux Centre, le dernier endroit où avait été signalée la présence possible, car non vérifiée, des fugitifs. Je m’arrêtai au check point, montrai mon carnet de contrôle sanguin aux miliciens postés devant les barricades de barbelés. Je subis l’examen du faciès sans broncher. Je ne portais pas de casque. Le risque de mourir d’un accident de la route m’importait peu et le gouvernement avait d’autres chats à fouetter que de réprimander les contrevenants à la sécurité routière ! Passant avec succès ce barrage, je notai le regard d’envie des hommes lorgnant ma bécane. Il était vrai qu’elle en jetait depuis que je l’avais repeinte en rouge, zébrée d’éclairs noirs, ma BMW 1200 GS Adventure, customisée et profilée telle une prédatrice de la route. Elle se terminait par une avancée en forme de bec, peint en jaune, semblable à un oiseau de chasse dynamique et ultra rapide si nécessaire.
Je profitai du premier rond point pour régler le spectromètre de ma ZombieBox. Et oui, les zombies possédaient un cerveau – grillé certes – envoyant des ondes spécifiques que ma ZombieBox était capable de détecter. Un réglage en mode ZB2+ semblait le meilleur choix pour cette mission. Je repartis en direction du centre-ville que je traversai sans m’arrêter. Peu de chance d’y trouver mes fuyards, trop voyants parmi une population éparse de Norm’ et de ZB1. Néanmoins, je ne voulais négliger aucune piste. Je me dirigeai ensuite vers les quartiers Nord. Cela me prit un certain temps. Le paysage urbain laissait sérieusement à désirer ! À l’image des films post-apocalyptiques, la majorité des villes ressemblaient à ce que je traversais actuellement. Immeubles non entretenus ou en délabrement sérieux, voiries difficilement praticables. Les villes de moyennes importances étaient devenues les royaumes des deux roues qui y régnaient en maître. Des travaux de reconstruction faisaient des tâches claires dans le décor. On était très loin d’en voir la fin en raison d’une absence de financement gouvernemental. Dreux n’entrait pas dans les quatre zones prioritaires de surveillance. Les politiciens ZB1 au pouvoir centralisaient leurs efforts sur ces dernières où se concentraient la majorité de Norm’ et leurs concitoyens. Entre ces zones et la dizaine de Zombielands existants, s’étalaient des no man’s land dans lesquels vivotaient des Norm’, des ZB1 - et quelques ZB2 - en marge du nouveau système post-Apophis. Les contrôles sanguins étaient cependant nécessaires pour sortir de cet espace, à moins d’être rusé et débrouillard.
J’empruntai la rue de Billy. Ma ZombieBox clignota légèrement dans l’angle haut à droite. Enfin ! Les ruines de la Chapelle Royale semblaient accueillir des ZB2. Ceux que je recherchais ? Une seule façon de le découvrir. Arrivé sur le promontoire qui dominait Dreux et sa vallée, je mis ma moto sur la béquille centrale. Je vérifiai mes armes, le fusil à pompe en bandoulière et les deux flingues que je glissai dans mon dos, prêts à l’emploi.
J’avais à peine fait quelques pas que j’entendis des hurlements. Je fonçai en direction de la bâtisse, grimpai les marches du porche en quatrième vitesse. À peine la porte centrale ouverte, je me heurtai à une forme – féminine vu la puissance de ses cordes vocales – qui me balança coups de pieds et coups de poings pour essayer de se dégager et fuir à nouveau. Sans prendre de gants, je la jetai violemment derrière moi, armai mon fusil et explosai la tête du premier zombie qui apparût dans mon champ de tir. Une citrouille éclatée n’aurait pas fait plus d’éclaboussures. Je ne perdis pas de temps pour recharger mon arme. Après avoir refermé la porte en laissant la fille dehors, je me planquai derrière un pilier pour attendre les compagnons de ma première victime. Logiquement, ils n’allaient pas tarder à apparaître pour rechercher leur casse-croûte. Mélange de pit-bulls et de charognards, les ZB en chasse ne lâchaient jamais leur proie avant de l’avoir rongée jusqu’à l’os. Les deux autres zombies surgissant de la pénombre ressemblaient à des futurs ZB3 tellement leur peau blafarde partait en lambeaux sanguinolents. À croire qu’ils avaient commencé à se bouffer entre eux. Je visai à deux reprises les têtes, faisant mouche à chaque coup. Je me retournai pour apercevoir une ombre se glisser derrière un des nombreux gisants. Tiens, un zombie joueur ! C’était plutôt rare. D’ordinaire, ils fonçaient dans le tas. Contournant mon pilier, je glissai jusqu’au suivant croyant me rapprocher de mon objectif. Je m’apprêtai à jeter un œil lorsqu’une masse se dressa face moi. Merde, je ne l’avais même pas vu venir ! Qu’est-ce que c’était que ce bordel ! Je regardais des yeux marron-vert illuminant un visage tellement blanc que ce regard aurait dû être rouge sang. Comment un presque ZB3 pouvait posséder un regard quasi humain dans lequel suintaient une perversité malsaine et une agressivité latente ? S’en suivit un corps à corps musclé. L’enfoiré essayait de me bouffer le bras pour me faire lâcher prise. Je me laissai tomber au sol, entrainant mon assaillant dans la chute. Avec mes pieds, je le fis basculer par-dessus moi. Me redressant rapidement, j’attrapai une des armes cachées dans mon dos et vidai mon chargeur dans la tête de l’autre abruti toujours au sol. Une fois terminée, il ne restait plus grand-chose du mort-vivant. Règle 2 appliquée à la lettre.
Avant de sortir, je pris soin de photographier les carcasses éclatées, preuve de mon efficacité. Dehors, la clarté me fit froncer les sourcils. La jeune femme était prostrée à l’endroit où elle avait atterri, toujours sur le porche. Je lui pris un bras pour la relever. Il s’agissait bien de la jeune femme que je devais ramener. Mission facile en réalité. Alors, pourquoi la vision de ses yeux gris larmoyants me mit mal à l’aise ? Je ne m’appesantis pas sur la question. Je préférai traîner ma charge, devenue silencieuse et docile, jusqu’à la moto. Un coup d’œil sur la ZombieBox me confirma que j’en avais terminé ici. Les cinq autres évadés n’étaient pas dans les parages. Un autre regard sur ma montre m’apprit que je n’avais plus qu’une heure avant le couvre-feu. Il était temps de trouver un abri pour la nuit. Je me tournai vers ma passagère et lui demandai : « Je suppose que tu n’as pas ton carnet de contrôle sur toi ? » Ce qu’elle me confirma d’un signe de tête. Heureusement que je connaissais bien le coin.
Je nous emmenai dans les quartiers situés derrière l’hôpital et trouvai le petit souterrain piétonnier. Je m’engageai en direction des ruines du moulin de Mézières, planque que j’utilisais occasionnellement. La route zigzaguait légèrement, néanmoins, maîtrisant ce trajet, je le fis la manette des gaz à fonds. Je sentais le poids du corps de ma passagère agrippée à moi, comme une moule à son rocher. Arrivée à destination, la fille s’éloigna et courut vomir plus loin. Je m’approchai d’elle lorsqu’elle se redressa. La pauvre s’essuya la bouche d’un revers de la main et porta l’autre sur son ventre qu’elle caressa. Elle m’adressa un regard de biche effarouchée. Elle voulut reculer, mais ses forces l’abandonnèrent finalement. À l’instant où elle tomba, je la récupérai dans mes bras tout en pensant Putain, dans quel pétrin je venais encore de me fourrer ?
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