27 mars 2014, Cimetière de x
Le petit cimetière de campagne n’avait sûrement jamais vu autant de personnes dans ses allées. Pourtant, pas un bruit ne venait troubler les paroles du prêtre qui avait accepté de prononcer un discours avant la mise en terre du cercueil de Cédrick.
Ses parents, à nouveau réunis dans cette épreuve, se tenaient par la main ; le petit Antonin, encore trop jeune pour comprendre la portée de l’évènement, jouait aux petites voitures sur la margelle du caveau où reposait enfin son grand frère.
Et commença la longue bénédiction du cercueil.
La mère de Cédrick, effondrée, se laissa choir à terre, des sanglots déchirants secouait son corps alors qu’elle tenait serré dans son poing une rose blanche et une enveloppe. Son ancien mari vint la soutenir pour la relever et lui laisser le temps de dire un dernier adieu à leur fils. À contrecœur, elle ouvrit sa main et fit tomber la fleur et la lettre dans le trou qui accueillait la dernière demeure de son fils. Elle resta quelques instants, le regard vide fixé sur la photo d’un Cédrick souriant, et les larmes coulèrent de nouveau sur son visage ravagé par la douleur de cette perte horrible à supporter pour un parent : devoir mettre en terre son enfant, sa chair et son sang. Avant de s’éloigner, elle murmura une dernière fois « Je t’aime mon Bébé… ». Seul le silence de la tombe recueillit sa déclaration.
La famille, les amis et les lycéens défilèrent lentement alors que résonnaient les premières notes de la chanson de Grégoire, « Ta Main », ajoutant une note de tristesse poignante au cortège silencieux.
Tu sais que j'ai du mal Encore à parler de toi Il parait que c'est normal Y'a pas de règles dans ces jeux-là Tu sais j'ai la voix qui se serre Quand je te croise dans les photos Tu sais j'ai le cœur qui se perd Je crois qu'il te pense un peu trop C'est comme ça c'est comme ça J'aurais aimé tenir ta main un peu plus longtemps J'aurais aimé tenir ta main un peu plus longtemps J'aurais aimé que mon chagrin ne dure qu'un instant Et tu sais j'espère au moins que tu m'entends C'est dur de briser le silence Même dans les cris même dans la fête C'est dur de combattre l'absence Car cette conne n'en fais qu'à sa tête Mais personne ne peut comprendre On a chacun sa propre histoire
Le dernier à rendre hommage au cercueil de Cédrick était un jeune homme brun, aussi pâle que le marbre de la pierre tombale de Cédrick. Il resta planté devant le trou béant, incapable de lâcher sa fleur. Doucement, il regarda en direction de la mère de son camarade décédé. Leurs yeux s’accrochèrent et une connexion silencieuse les lia avant que la mère ne réalise qui était le jeune homme. La douleur et la colère traversèrent les traits de cette dernière alors qu’elle serrait les poings et trouvait la dignité de ne pas faire d’esclandre en cet instant de deuil.
Ne pas condamner celui qui avait fait tant de mal à son fils lui avait semblé bien plus facile que maintenant qu’elle l’avait sous les yeux. Ce qui la retint fut la peine exprimée par le corps tout entier du jeune homme, prostré devant le caveau.
Jonathan finit par faire tomber la rose. Il sortit d’une poche de son pantalon une lettre qu’il jeta également, la regardant tournoyer avant qu’elle ne se pose sur le cercueil, à côté de celle de la mère de Cédrick.
Lorsqu’il se retourna pour faire face à la foule présente, il n’en menait pas large. Ses mains tremblaient le long de son corps. Il attendait quelque chose. Plusieurs fois il ouvrit la bouche sans que le moindre son n’en sorte.
Désespéré, il regarda la mère de Cédrick. Des larmes glissaient sur leurs joues, silencieuses, moqueuses et accusatrices. Surprenant tout le monde, elle le rejoignit pour essuyer ses joues humides avec une de ses mains et l’enferma dans une étreinte de chagrin partagé. Peut-être une ébauche de pardon ?
Un courant d’air traversa le cimetière, tourbillonna quelques secondes autour de l’étrange couple avant de s’envoler plus loin.
Lorsque la mère de Cédrick relâcha Jonathan, celui-ci semblait avoir repris ses esprits. Il se pencha et prononça quelques mots à l’oreille de la femme à ses côtés. Celle-ci acquiesça doucement avant de laisser glisser sa main sur l’épaule du jeune homme dans une caresse apaisante. Puis elle s’écarta de quelques pas, le laissant à nouveau seul face à la foule.
Il prit son temps, observant les visages intrigués, avant de se lancer enfin.
« Bonjour, je m’appelle Jonathan… je suis un ami de Cédrick. En réalité… j’étais bien plus que cela… J’étais son petit ami… et j’ai fait la pire erreur de ma vie… celle d’accorder plus d’importance au regard des autres qu’à celui que j’aimais… J’ai fait du mal à Cédrick. Je ne peux revenir en arrière et je passerais ma vie entière à regretter ces derniers jours. Je n’ai pas trouvé de meilleure façon de lui rendre hommage qu’en faisant ce discours aujourd’hui. Il voulait vivre notre amour au grand jour ! Et bien c’est ce que je fais… »
Le reste de son discours improvisé toucha de diverses manières les adolescents et les adultes présents ce jour-là. Certains s’éloignèrent sans attendre la fin. Mais Jonathan s’en moquait. Après avoir terminé d’écrire sa lettre, il avait enfin compris ce qu’il lui restait à faire. Pour Cédrick… et pour lui-même, s’il voulait pouvoir un jour de nouveau se regarder dans un miroir.
Le soutien discret de la mère de Cédrick lui suffisait, comme il l’avait été pour Cédrick.
Il ne tenait plus qu’à lui, de prouver qu’il était capable d’aller jusqu’au bout, pour ne plus renier ce qu’il était et ceux qu’il aimerait… même si Cédrick resterait à jamais dans son cœur.
Un rappel constant de la faiblesse de l’être humain.
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