Nous passâmes la nuit dans le bureau que j’avais aménagé en piaule. J’avais installé mon invitée surprise sur la couchette tandis que je campais dans le fauteuil miteux restant. Au petit matin, réveillé en premier, j’en profitai pour observer l’étrange endormie. Elle avait des traits fins, sans traces de stigmates disgracieux. Sa chevelure brune n’avait pas vu de ciseaux depuis un certain temps, pourtant cette masse ébouriffée ne l’enlaidissait nullement. Le jour de sa transformation, elle devait être jeune, pas plus de 25 ans. Elle n’avait pas dû se laver depuis plusieurs jours. Cela lui donnait un air de sauvageonne rebelle.
Sous mon regard scrutateur, la jeune femme se réveilla, nullement effrayée.
« Bonjour, me salua-t-elle d’une voix douce mais ferme, en se redressant. Je pourrais connaître tes intentions à mon égard ? Tu ne m’as pas sauvé et embarqué avec toi pour le plaisir ? Tu as forcément une idée en tête, continua-t-elle, me détaillant à son tour.
— J’ai été engagé par ZYMBIOTEC pour te ramener chez eux, répondis-je succinctement.
— Et… ?
— Et rien d’autre. Point final. Mon implication s’arrêtera lorsque je t’aurais livré à eux.
— Alors, nous allons avoir un problème tous les deux. Puisqu’il est hors de question que j’y retourne ! Ils ne me disséqueront plus ! »
Si je ne tressaillis pas au terme de disséquer, je faillis sourire à cette déclaration catégorique. La biche effarouchée était devenue une fière amazone, prête à mordre quiconque la contredirait. Le changement était spectaculaire. Pour la première fois, depuis très longtemps, j’étais intrigué et... curieux. Tout était bizarre dans cette mission : le délai accordé de dix jours maximum, les zombies au comportement et au physique déconcertants, puis enfin l’objectif en lui-même. Il y avait anguille sous roche, sûr !
En attendant d’y voir plus clair, je lui proposai d’aller se laver sur les berges du lac jouxtant les bâtiments. À quelques mètres du rivage, la jeune femme se retourna et balança : « Au fait, je m’appelle Flora ». Puis, elle avança tranquillement vers l’eau tout en se déshabillant. « Et moi Zec… » Toutefois, je ne fus pas sûr d’avoir été entendu, mon interlocutrice était déjà dans l’eau, quasi nue.
Je posai mon fusil à pompe sur mon épaule, et d’un regard attentif, parcourus le paysage ainsi que ma ZombieBox dans une surveillance vigilante des alentours. Application de la Règle n°1. Attiré par un mouvement, je regardai Flora, qui sortait de l’eau. Inconsciemment, je me rapprochai, encore, encore plus près, jusqu’à n’être plus qu’à quelques mètres d’elle. Impossible, je rêve ! Mes doigts ayant pincé fortement mon bras, je réalisai que non. Mes yeux étaient scotchés sur son ventre. Sentant ma perplexité, cette dernière me questionna abruptement, me prenant sans doute pour un énième voyeur.
« Quoi encore, qu’est-ce que t’as à me mater comme ça ? »
Pour toute réponse, je tendis mon doigt et pointai son ventre. Avec un magnifique sourire, elle prononça une phrase qui fit sonner une alarme dans mon cerveau.
« Je crois qu’il a bien profité de sa nuit au calme !
— Non, mais là c’est plus profité, c’est carrément explosé ! »
Je n’en revenais toujours pas. Ce matin, sous son tee-shirt flottant, je n’avais pas remarqué que son ventre était devenu aussi gonflé que celui d’une femme enceinte de trois à quatre mois.
« T’as avalé des boîtes de petits pois en cachette cette nuit ? » ne pus-je m’empêcher de la questionner. « Comment c’est possible ? Hier soir, sur la moto, tu n’avais pas un ventre si... enflé. Je l’aurais senti ! »
Flora m’observa, cherchant sur mon visage des signes lui montrant que j’avais compris la situation dans laquelle elle se trouvait.
« C’est la raison pour laquelle je ne retournerais pas là-bas, annonça-t-elle calmement.
— Et celle pour laquelle je n’ai que dix jours pour te ramener, réalisai-je alors. Ils te veulent avant que tu n’... »
Sans attendre la fin de ma phrase, elle ramassa les vêtements propres que je lui avais donnés et remonta directement dans la planque. Je la suivis, la laissai se rhabiller puis j’exigeai des explications sur ce qui lui était arrivé. Curieusement, elle accepta sans rechigner mes exigences. Nous nous assîmes sur la couchette et Flora commença son histoire.
« Je ne me rappelle pas grand-chose de ma mort, juste que moi et Ricky étions ensemble. À mon réveil, nous étions tous les deux enfermés dans une grande pièce, sans fenêtre. À travers la vitre de notre “ prison ”, je voyais plusieurs autres pièces identiques à la nôtre. Elles aussi contenaient des couples. »
Des médecins leur faisaient des injections, des prises de sang, se servant d’eux comme cobayes. Régulièrement, certains couples disparaissaient, remplacés par des nouveaux ZB1.
« Ils nous découpaient des morceaux de chairs, soit disant pour étudier le phénomène de cicatrisation des Biwans...
— Biwans ?
— Ils nous surnommaient ainsi, m’expliqua-t-elle, jouant sur les mots ZB1 et Zombiwan en référence au maître Jedi machin chose.
— Obi Wan Kenobi des films Star Wars.
— Ouais, surement. Un plus sadique que les autres, prenait un malin plaisir à taillader jusqu’à l’os. En ricanant, il me disait que je devais être fière de servir la science et mon pays. C’est tout juste s’il ne se léchait pas les doigts en finissant son sale boulot. Je suis sûre qu’il était ZB1 aussi. »
Les épaules de la jeune femme frissonnèrent à ce souvenir. Affamés pendant des jours, ils n’avaient droit ensuite qu’à leurs propres morceaux de chairs précédemment découpés qu’on leur balançait, pourris et avariés. Ils n’avaient d’autres choix que de les avaler, l’instinct de survie, chez les Norm’ ou les ZB était similaire...
« Et puis, Ricky a commencé à changer. Ils lui ont injecté une saloperie et il se transformait en ZB2 un peu plus tous les jours, sous mes yeux, sans que je ne puisse rien y faire ! Ils l’emmenaient des heures et à son retour, il était à chaque fois, encore plus énervé, excité. Jamais il n’aurait levé la main sur moi... avant. »
J’hésitai à me rapprocher d’elle mais elle recula loin de moi. OK, je pris note. Pas de témoignage de sympathie. Elle poursuivit son récit.
« Je les ai suppliés d’arrêter. Ou de nous séparer. Ils n’en avaient rien à foutre. Ils respectaient scrupuleusement la procédure de leur “expérience”, cracha-t-elle. J’arrivais de moins en moins à me défendre contre les crises de Ricky. Et puis... un jour... je... je n’ai pas réussi... »
Je l’écoutais raconter son calvaire, finalement peu étonné, les scientifiques avaient déniché un nouveau jouet et s’amusaient sans crainte des conséquences. Ils étaient payés pour ça. Qui s’inquiéterait du manque de déontologie dont ils faisaient preuve. Entendre cette pauvre fille décrire son viol par son propre ami en pleine mutation était néanmoins une expérience répugnante. Elle m’énuméra cliniquement les sévices et les multiples pénétrations qu’elle avait subies – tous orifices confondus – sans remarquer mon silence déconcerté. Je me targuais d’être un homme endurci. Or, imaginer un zombie enragé, qui jouait de la mâchoire et de la queue en même temps, avec un plaisir sadique et vicieux, le tout sous les yeux graveleux et libidineux de vos autres tortionnaires, cela avait de quoi vous rendre cinglé.
Elle termina son témoignage par l’évasion qui avait suivit la découverte de son état de gestation “ zombilicale ”, une première chez les ZB. La procréation était impossible pour un mort-vivant, dieu merci ! Enfin, jusqu’à aujourd’hui. Je comprenais mieux la nervosité de mes employeurs. L’humanité était encore dans un sacré merdier.
« Ricky a eu un dernier moment de lucidité après qu’il m’ait... Il les a entendus parler des expérimentations qu’ils projetaient de faire sur notre bébé. Alors, il a profité de la séance de torture suivante pour nous libérer, avec d’autres prisonniers. Ils ont tout saccagé sur leur passage et nous avons réussi à nous échapper...
— Mais..., ajoutai-je, le sentant venir.
— Mais peu de temps après, ils sont tous devenus enragés, des ZB3 dans des corps de ZB2.
— Et j’entre en action à ce moment-là, complétai-je. Ton Ricky, il n’avait pas des yeux marron-vert par hasard ? Une gueule de beau-gosse à la sauce zombie ? »
Flora acquiesça.
« Il est définitivement mort », confirmai-je, en caressant mes armes.
Elle ne pleura pas son ancien compagnon. Le passé n’avait pas d’importance quand on était un zombie.
« Et les autres évadés ? Voulus-je savoir.
— Nous... les avons bouffés. On avait trop la dalle pour chercher. »
Des zombies carnivores et cannibales qui réfléchissaient. Il ne manquait plus que ça !
ZYMBIOTEC n’abandonnerait pas les recherches. Ce laboratoire avait trop de choses à cacher et d’expériences à poursuivre. J’avais besoin d’informations supplémentaires. J’attrapai une chaîne faite de grosses mailles en argent, attachai les poignets de Flora au pied de la couchette, lui laissant une bonne longueur pour qu’elle puisse s’allonger. Mes mains frôlèrent son abdomen. La soudaine bosse qui le déforma fit sursauter Flora et me fit reculer. Nous nous regardâmes, moi limite choqué et elle aux anges. Mais qu’est-ce que c’était que ce... truc ? Si je voulais des réponses, je n’avais d’autre choix que de prélever sur la jeune maman un échantillon de sang. Concentrée sur son ventre, elle se laissa manipuler sans violence. Alors que je me préparai à sortir, elle releva la tête et me demanda :
« J’ai… nous avons besoin de manger. Si tu pouvais ramener de quoi grignoter ? Je raffole de cervelle fraîche et spongieuse. Quoique là, je croquerai bien un morceau de langue gélatineux. S’il te plaît », me supplia-t-elle d’une voix enfantine.
Bien sûr, je n’avais que ça à faire, la bonniche de service !
« Je verrais ce que je peux faire. »
Et je sortis, furieux. Je savais que je le ferais.
Trouver un laboratoire d’analyses fut compliqué, mais pas impossible. Mon armement me facilita grandement la tâche. Faire fabriquer un faux carnet de contrôle me prit moins de temps. Mon réseau fonctionnait parfaitement. La lecture des résultats me fit grimacer. Merde, je n’avais pas de bonnes nouvelles à lui annoncer. Les analyses montraient que Flora débutait le stade deux du ZB. Pourquoi me sentis-je obligé de lui faire plaisir alors ? Ce devait être la vue du commerce SuperZ. Passer devant un supermarché “ spécial zombies ” était une sacrée aubaine. Surtout à Dreux, hors zone surveillée. Certes, il ne fallait pas chercher à connaître la traçabilité des produits vendus, le principal étant que le produit reste goûteux aux papilles des consommateurs de chairs plus ou moins fraîches. Mes emplettes terminées, je repris le chemin de la planque.
Dans le couloir menant au bureau aménagé, j’entendis soudain des grognements. Sur mes gardes, je déposai mes paquets et armai mes deux fidèles Sig-Sauer. J’entrai armes aux poings. Surprise, Flora se retourna. Au spectacle qu’elle offrait, je ne pus me retenir. J’allai dans un coin et vomit la bile qui me soulevait l’estomac. Regardez-moi ce tableau, un macho de pacotille et la fille bâtarde de Chucky ! Le visage de Flora était baigné de larmes... et de sang, sa bouche pleine de morceaux de... son bras droit. Je venais d’interrompre une crise de boulimie zombique.
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