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zelinelebeau

Pour l'Eternité

Octobre 2015

Cet été, j'ai voulu répondre au petit appel à texte du 1er M/M Reader sur le thème de La Rentrée... 

Sauf que moi j'ai eu une vision !!! Celle d'une rentrée... dans l'atmosphère !!! 

Alors forcément ce n'était pas gagner pour être dans le thème...

Me suis dit : "pas grave, on tente !"

Mais voilà.... j'avais bien mes 5 mots imposés (Anticonstitutionnellement, Dragon, Référentiel, Glacial, Buzz) mais ça s'est gâté après : j'ai largement dépasser les 1500 mots... et le thème n'était plus vraiment là.....

Le temps a passé, je l'ai terminé, je ne l'ai pas envoyé...

Et maintenant il vient tenir compagnie aux autres petits textes du blog...





La blancheur éclatante et immaculée du Tunnel l’éblouit dès l’instant où sa conscience l’enregistra, lui donnant l’impression qu’un flot de lumière inondait ses yeux. Dans quel endroit se trouvait-il ? Ses pensées éparses lui revenaient progressivement. Il lui semblait… Qu’il sortait d’un rêve étrange dont les bribes lui échappaient encore.


D’étranges filaments qu’il n’avait pas remarqués auparavant, constellèrent l’espace autour de lui. Il essaya d’en attraper un en avançant sa main mais il ne rencontra que le vide, les minces fils cotonneux s’envolant loin devant sans qu’il puisse les rejoindre, poussés par un courant d’air qu’il ne sentait même pas. Sa vue lui jouait des tours ou bien il était dans la quatrième dimension ! Ses mains flottaient dans le vide, inutiles et inconsistantes.


Il se concentra sur le bourdonnement qui parvenait à ses oreilles, un chuchotement flottant dans la brume environnante. Une phrase. Une seule et unique phrase qui résonnait de plus en plus clairement. « Fais de beaux rêves ». Il entendait les douces intonations de la voix, les mots semblaient murmurés directement à son oreille, encore et encore et encore. Pourtant, quelque part dans ce désert lumineux, il savait qu’il était seul. Seul au milieu de nulle part.


Bercé par ce leitmotiv, il se laissa flotter et dériver au gré d’un courant invisible. Quelques images fantomatiques et déconcertantes le frôlaient puis tourbillonnaient quelques secondes autour de lui avant de disparaître également dans la clarté de l’inexplicable galerie. Il fallut l’apparition de plusieurs de ces photographies pour que doucement, le puzzle prenne forme. Alors lui revinrent des flashs de sa vie. Sa vie d’avant le Tunnel. L’assemblage s’ajustant au fur et à mesure que les connexions se tissaient dans son cerveau. Sa mémoire lui revenait, même s’il n’avait pas eu la sensation de l’avoir perdu dans ce couloir neigeux. L’impression d’une solitude persistante et glaciale le frappa à l’instant où la mélodie des quatre mots « Fais de beaux rêves » s’interrompit brutalement. Le retour d’un silence, pesant et étouffant, fut la dernière pierre qui acheva la complète remise en route de son esprit.


L’European Space Agency. Expérience. Sommeil artificiel. Départ… Lui.


De nouveau opérationnels, ses neurones prirent le relais, donnant au Tunnel une signification particulière. Il se trouvait en phase de réveil. Quelque chose – non, quelqu’un – avait forcément activé la procédure à l’autre extrémité du couloir. Une personne qui l’attendait. Une présence qu’il avait hâte de retrouver.


Son esprit enregistra un mouvement furtif aux frontières du long corridor. Il planait comme une ombre au-dessus de lui. Il s’était endormi la tête emplie de doutes et de questions. Sa seule certitude ? Il lui avait manqué. Il refusait de se mentir plus longtemps. Lorsqu’ils étaient tous les deux dans la même pièce, il se sentait enfin « entier ». Il lui avait fallu cette fuite en avant et ses possibles conséquences désastreuses en cas d’échec, pour comprendre qu’il ne pourrait échapper à son destin. La peur qui s’était infiltrée en lui alors que le sommeil le gagnait était arrivée bien trop tard pour le libérer. Savoir qu’ils s’étaient séparés sur une dispute stupide dont l’origine était une belle crasse de sa part. Jamais il n’avait cherché à lui faire du mal sciemment, lui ! Le pouvoir des mots était terrifiant.


« Fais de beaux rêves »… Se pourrait-il qu’il ne lui en ait pas gardé rancune comme il le pensait, et que profitant de sa léthargie artificielle, il lui ait murmuré ces quelques mots pour l’accompagner durant son long sommeil ?


Maintenant qu’il se réveillait, il ne désirait plus qu’une seule chose : le revoir. S’excuser. Avouer… Terminer les conneries ! L’époque du cobaye stupide qui obéissait comme un bon petit soldat était révolu. Notre planète était si belle vue d’en-haut. La vie humaine devenait quelque chose de magnifique et magique quand on y réfléchissait deux secondes. Sur Terre, on oubliait si vite qu’elle était si fragile, aussi ténue qu’un grain de sable à l’échelle de l’univers.


Sa candidature à ce défi spatial et son état de transe actuel était finalement ce qui lui avait manqué à la Base. Une paire de couilles pour admettre qu’il éprouvait plus que de l’amitié pour lui. Il se trouvait être l’autre moitié de son âme. La peur l’avait rendu mesquin, mauvais et agressif pourtant son collègue ne lui avait jamais tourné le dos.

Le cheminement que prenait ses pensées, l’accélération du battement de son cœur, tout concordait à le rendre plus fébrile. Il aurait voulu courir vers la sortie cependant, son corps en apesanteur l’en empêchait.


Conscient qu’il était toujours théoriquement endormi, il cherchait la raison de son état et de ce Tunnel. Pourquoi son cerveau tournait-il à plein régime ? Contrairement à ce qu’on lui avait annoncé.


La longue cohorte des spécialistes du sommeil dans l’espace lui avait assuré, statistiques et référentiels à l’appui, que son sommeil resterait si profondément léthargique qu’il serait impossible à son esprit de rêver. Cela l’avait bien arrangé sur le moment. Les mois précédent son départ, ses nuits étaient plutôt du genre calme et insipide. Sauf les trois semaines précédant son « hibernation ». Son subconscient l’avait plongé avec ferveur dans des rêves d’une doucereuse sensation de volupté et de plaisir. Pas de dragons cauchemardesques, seulement lui. Amos. Un de ses partenaires à l’ESA et le trublion de ses nuits. En deux ans, le jeune homme, du haut de ses 1.80 mètres, était devenu son plus proche ami et confident. Seulement, sous ses faux airs de timide, Amos s’était imposé progressivement dans sa vie… Dans son cœur… Et dans ses rêves…

Alors cette expérience, une très très longue nuit sans rêves, ne l’avait pas rebuté, loin de là. Sauf que…


La lutte qu’il menait contre lui-même, pour réfréner ces sentiments inappropriés, n’avait pas porté ses fruits. Il n’était pas homophobe et se considérait plutôt comme « gay friendly » cependant, de là à franchir la frontière et passer du côté des Bi – aller plus loin dans l’analyse était hors de question – il y avait un gouffre intersidéral qu’il n’était près à traverser encore.


Les ombres perceptibles à l’autre bout du tunnel lui firent activer le mouvement. C’est alors qu’il remarqua un phénomène inattendu : il marchait sur un sol aussi blanc que les parois qui l’entouraient. L’apesanteur avait disparu. Soit il rêvait réellement, et dans ce cas-là il se préparait une autre ballade. Soit il était véritablement en phase de réveil et il lui tardait d’émerger pour affronter le monde réel. Et il savait qu’il ne pensait pas qu’à l’expérience. Il avança, bondissant à petit pas, imitant son héros favori, Armstrong marchant sur la lune.

Une pensée le frappa au bout d’une dizaine de mètres. Les médecins n’avaient-ils pas évoqué que son réveil pourrait se dérouler sur plusieurs jours afin de le sortir progressivement de son hypothermie thérapeutique, nom savant de cette expérience ? Cela dans l’optique de leur permettre ainsi de mieux étudier les réactions du corps humain en prévision de voyages spatiaux, voir interstellaires. Pourquoi avait-il soudain, cette sensation d’urgence qui l’oppressait ? Pour ce qu’il en vivait, c’était plutôt un réveil rapide. Bizarre mais rapide. Il faudrait qu’il leur en parle pour analyser ce phénomène.


Alors qu’il poursuivait sa progression, les parois autour de lui se transformèrent en toiles de fond géantes sur lesquelles défilaient sans cesse de nouvelles images, kaléidoscope coloré qui égaya la blancheur de la Galerie. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre. Chaque pas qu’il faisait, projetait une nouvelle série de photos, le rendant spectateur de ses propres souvenirs. Centrés sur lui et Amos.


De nombreux gestes et regards émanant de son collègue et ami l’avait mis en alerte. Il était clair qu’Amos éprouvait pour lui des sentiments particuliers. Le jeune homme était sorti de son « placard » depuis plusieurs années, vivant sa vie, tout simplement.

Lui en était juste à reconnaître qu’il éprouvait… une inclination plus qu’amicale pour Amos. Une certaine confusion embrouillait ses idées alors que ses réactions épidermiques et émotionnelles aux moindres effleurements sur son bras lui envoyaient une myriade de papillons voltigeant dans son ventre. Les malaises intestinaux avaient eu la part belle, signes manifestes de sa mauvaise foi.


Accepter cette expérience de sommeil artificiel lui avait paru le meilleur moyen de s’éloigner, pour un temps, de cette situation. Y survivrait-il ? Il l’espérait et tout portait à le croire, n’est-ce pas ? Après tout, il était grand temps pour lui d’assumer et de sortir au grand jour, ou tout simplement de sortir de cette lumière qui l’enveloppait comme une chape de protection. Ce n’était pas vivre que de refouler ses sentiments et il avait passé l’âge de rendre des comptes aux autres.


Cette lumière symbolisait son retour. Oui, enfin, il se décidait à rentrer chez lui. L’acceptation de soi-même, de l’autre, d’eux... Le froid glacial qui l’avait jusque-là entouré, s’évanouissait dans cette douce léthargie. L’ombre d’Amos apparaissait en contre jour, au bout du Tunnel. Un sourire aux lèvres, il courut vers la silhouette. Il savait déjà quelle serait sa première phrase à son réveil. Et il était certain qu’elle ferait le buzz dans la navette et l’ESA pendant les semaines à venir mais il s’en foutait royalement parce qu’enfin, pour la première fois depuis longtemps, il savait exactement où il désirait se rendre, et surtout avec qui. Plus rien n’avait d’importance que de revoir le fin visage d’Amos, ses taches de rousseurs, ses petites lunettes rondes… et son merveilleux sourire.

Il touchait au but. Il remarqua alors les petites notes de couleur qui pigmentaient progressivement la blancheur du tunnel. Du jaune, de l’orange puis du rouge. Et soudain, un éclair de douleur fulgurant transforma son corps en boule de feu. Sa respiration sifflante et laborieuse augmenta le niveau de souffrance qu’il ressentait atrocement dans ses membres. Les yeux piquants et larmoyants, il papillonna des paupières essayant d’adapter sa vue et son ouïe au bruit anormal qui résonnait autour de lui. Son esprit enregistra la présence d’un corps près de lui. Et la voix qui murmurait de nouveau à son oreille. Pourtant, ce qu’il en comprenait ne collait pas avec ce qu’il aurait dû entendre. Il le ressentait dans ses tripes et dans les vrilles de douleur qui le harcelaient.


–– Non, non, ne te réveilles pas ! S’il te plaît… Terence. Fais ça pour moi. Je ne veux pas que tu… que tu…


Un hoquet de désespoir interrompit la voix suppliante. Un énorme warning clignota dans son esprit. Sa vue toujours brouillée ne l’aidait pas. Il bougea ses bras péniblement. Une main ferme attrapa sa main droite et la serra, fort. Au point qu’il gémit de douleur. Rêvait-il ? Cela ressemblait plutôt à un cauchemar. Il devait savoir. Alors de sa voix cassée par un si long silence, il coassa la phrase qu’ils affectionnaient se balancer amicalement pour vérifier l’état de l’autre après une soirée un peu plus arrosée qu’elle n’aurait dû l’être.


–– Dis le mot magique ?

–– Que.. ? Qu’est-ce que tu dis ?

–– Allez… dis-le ! souffla-t-il doucement

–– Terence…mon dieu si tu savais…


Amos était-il en train de pleurer ? Cette fois, il prononça clairement « DIS-LE ! ». La réponse arriva finalement, mais il tendit l’oreille pour saisir l’unique mot prononcé par son compagnon.


–– Anticonstitutionnellement.

–– Alors je ne rêve pas, je suis bien là, avec toi, articula-t-il difficilement.

–– J’aurais tellement souhaité que tu ne te réveilles jamais, chuchota Amos.


Malgré le bruit environnant, Terence comprit parfaitement le sens de la phrase. Sa vision s’ajusta enfin et se fixa sur le jeune homme en face de lui. Il avait l’air exténué, paniqué et ses yeux brillaient trop pour que ce soit normal. Cela ne ressemblait pas au spationaute calme et serein qu’il connaissait. Il essaya de se redresser sans y parvenir. Amos l’y aida doucement et lentement. La chaleur ambiante lui faisait du bien, réchauffant son corps trop longtemps anesthésié par la léthargie et l’immobilité forcée.


Ils se regardèrent véritablement pour la première fois. Chacun lisant en l’autre jusqu’au tréfonds de leurs âmes. Terence céda à l’émotion du moment, il essuya tendrement du pouce une larme qui descendait sur la joue pâle d’Amos. Sans le quitter du regard, bougeant difficilement ses bras ankylosés, il prit en coupe le visage de l’autre jeune homme et avança doucement vers les lèvres tremblotantes.

–– Maintenant je sais ce que mon cœur ressent pour toi…, avoua-t-il juste avant de l’embrasser.


Un baiser tendre et doux, humide et salé, qui se termina bien trop vite à son goût.


–– J’aurais tellement voulu que les choses se passent autrement mon ange…


Terence tressaillit aussi bien de bonheur au surnom affectueux dont venait de le gratifier Amos que de malaise au son torturé de cette voix habituellement beaucoup plus sereine.


Une explosion secoua l’habitacle dans lequel ils se trouvaient et une forte poussée de chaleur et de flammes se propagea vers eux. Des bruits assourdissants de tôles froissées et arrachées leur parvenaient d’un peu trop près. Amos se jeta sur Terence, faisant rempart de son corps pour le protéger des débris voltigeant autour d’eux, le replongeant dans le caisson où Terence avait passé les dernières semaines endormi.


La vérité frappa Terence lui coupant la respiration : la mission tournait à la catastrophe… Quelque chose avait dérapé et cela ne sentait pas bon du tout pour les voyageurs de l’espace coincés à l’intérieur de la station, frêle protection contre le vide spatial autour d’eux.


–– Et les autres ? questionna-t-il lorsque son protecteur se souleva quelques instants plus tard, une fois le danger éloigné.


Le regard dévasté d’Amos fut une réponse suffisante.

–– Une pluie de petites météorites a traversé notre trajectoire alors qu’on effectuait notre dernière rotation autour de la lune. Le module dans lequel se trouvait nos compagnons n’a pas résisté aux multiples collisions, commença à expliquer Amos dont la main serrait toujours celle de son partenaire. Il a explosé projetant des débris sur nous. Les dommages causés ont détraqué ton système de surveillance et entamé la procédure de réveil. J’ai essayé de la stopper. Je… je refusais de te voir… souffrir alors que tu aurais pu ignorer ce qui était en train de se passer, acheva-t-il péniblement.


Une nouvelle secousse agita furieusement ce qui restait de la petite station spatiale. Les alarmes résonnaient de tous les côtés, ignorants qu’il était trop tard pour sauver quoi que ce soit. Le feu grignotait les parties encore viables de l’intérieur et épuisait les maigres réserves d’oxygène. L’étau infernal se resserra encore plus autour d’eux.


Terence attrapa le corps d’Amos et de ses maigres forces l’installa à côté de lui dans son caisson. Serrés l’un contre l’autre, leurs cœurs battant à l’unisson, il embrassa une nouvelle fois son compagnon, glissant sa langue entre ses lèvres, franchissant ce doux barrage qui s’ouvrit pour lui. Un baiser langoureux, passionné, avide et enflammé comme les flammes de l’enfer brûlant autour d’eux. S’ils devaient mourir ici, ensemble, il tenait à lui prouver qu’il tenait à lui… qu’il l’aimait. Il mit tout son cœur, ses regrets, son amour dans ce baiser.


–– Je t’aime Amos, murmura Terence.


La chaleur devenait insupportable, l’air irrespirable. Les vibrations autour d’eux s’amplifiaient et le vacarme devenait assourdissant. Leurs deux corps n’avaient jamais été aussi proches l’un de l’autre. Les mains serrées, leurs fronts collés l’un contre l’autre et les yeux dans les yeux, grands ouverts pour imprimer le visage de l’autre, leurs lèvres articulèrent un dernier « je t’aime » silencieux avant que la dernière explosion ne détruisît complètement leur station, scellant leur amour et leur destin dans l’infini de l’espace, immensité dans laquelle leurs âmes dériveraient à jamais, unies pour l’éternité.





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