Cette nouvelle se déroule durant une période trouble de la ville de Carcassonne. L’auteur a pris quelques légèretés par rapport à la vérité historique. Consciente, elle s’en excuse par avance...
Un certain matin du printemps de l’an 1303, sur les routes du Languedoc.
La brume s’élevait doucement au-dessus des champs, laissant apparaître un paysage vert et légèrement ondoyant sous une tramontane printanière. L’humidité matinale transperçait les habits des soldats escortant ce curieux convoi.
Frère Thomas bénéficiait du maigre abri offert par la bâche du chariot qu’il partageait avec Frère Anselme. Ce dernier ronflait tranquillement en dépit des cahots qui secouaient leur véhicule. Il était à moitié avachi sur les sacs de jutes qui recouvraient le plancher de bois brut. Profitant du sommeil de son mentor, le jeune moinillon ne cachait pas son excitation à l’idée de participer à cet évènement particulier et peu commun.
Que le Père Prieur l’eut choisi lui, pour accompagner Frère Anselme, était le fruit d’un hasard extraordinaire, ou alors Saint-Thomas, dans sa grande bienveillance, avait intercédé en sa faveur. La maladie qu’avait contractée ce malheureux Frère Germain était une aubaine pour le tout jeune moine, qui n’avait prononcé ses vœux simples[1] que le mois précédent.
S’il voyageait pour la première fois aussi bas dans le sud, c’était pour répondre à la sollicitation du Grand Inquisiteur de Toulouse, Nicolas d’Abbeville, qui requérait la présence de Frère Anselme pour l’assister dans l’examen d’un nouveau cas d’exorcisme ou de sorcellerie déguisée. Il était le seul ecclésiastique de la région à maîtriser et réussir avec succès la pratique d’exorcismes.
Chaque séance nécessitait une concentration et une dépense d’énergie psychique telle qu’il réclamait depuis l’année dernière l’aide d’un autre frère pour l’aider et protéger ses arrières contre les manifestations vicieuses et inattendues du Malin qui ne lâchait pas ses victimes de bon cœur.
Et c’était lui, jeune moine de 19 ans, que le Père Prieur avait désigné pour seconder Frère Anselme dans cette délicate opération.
Frère Thomas n’en revenait toujours pas d’avoir l’opportunité de sortir du monastère, de participer à cette chasse aux démons. Sa ferveur et sa dévotion avaient enfin payé. L’occasion lui était offerte d’œuvrer à la grandeur du Seigneur...
N’était-ce point péché d’orgueil de se croire indispensable et de souhaiter avec autant de fougue le malheur d’une pauvresse pour exaucer son désir de liberté si peu compatible avec sa position du plus ancien oblat [2] du monastère ?
Il savait qu’il devrait se confesser à son retour, éprouver de tel sentiment n’était pas digne d’un moine, même pas toléré chez un novice. Pourtant, l’attrait de cette semi-liberté et l’aventure d’une possible rencontre avec le Diable lui donnait des frissons.
Pour se calmer, il s’agenouilla en relevant légèrement sa robe de bure. Il récita un Pater Noster à genoux, les échardes qu’il sentait pénétrer dans sa peau seraient sa pénitence.
***
Les deux moines se rendirent directement à la Tour de la Cité, qui avait été concédée à l’Inquisition pour que son tribunal puisse y siéger et œuvrer à éradiquer les hérétiques et autres êtres malfaisants.
Le Grand Maître leur expliqua qu’il était déjà très occupé à lutter contre les actions sournoises menées par un Franciscain, Bernard Délicieux, soutenu malheureusement par les Consuls de Carcassonne. Pris par le temps, il déléguait aux deux moines la seconde affaire qui requérait l’intervention de l’Inquisition. A eux de diligenter l’enquête pour faire éclater la vérité sur cette prétendue possédée. Il leur précisa qu’il n’avait rien contre une sanction exemplaire. En effet, il ne leur cacha pas sa crainte que la sorcière concernée dissimulât ses pouvoirs maléfiques en usant de l’excuse de la possession démoniaque.
Afin de jauger la situation, ils se rendirent alors à la prison, appelée La Mure, dont les fortifications suintaient la douleur de prisonniers torturés. L’odeur à l’intérieur était repoussante en raison du manque d’hygiène. Tout conférait à donner à ce lieu une impression de noirceur et de frayeur.
Ils parcoururent les couloirs sombres à la lumière de quelques torches et descendirent au sous-sol pour accéder aux cachots des condamnés. Le jeune moine perturbé par les cris, les bruits de chaînes, sursautait à chaque cliquetis des clés accrochées à la ceinture de l’énorme geôlier. Il réalisait seulement maintenant l’atrocité des lieux et les terribles conséquences de leur rôle.
Il essaya de se reprendre en se répétant qu’ils œuvraient à la grandeur du Seigneur et qu’ils devaient éradiquer toutes traces du Malin, sous toutes ses formes. Ils étaient les garants du Bien dans ce lieu de perdition.
Le gardien ouvrit une porte épaisse, laissa passer les deux religieux et leur tendit une torche, après quoi il referma la porte sur eux et sur la forme qui gisait au fonds du cachot.
Frère Anselme se rapprocha de l’épave humaine.
— Thomas, approche la torche, veux-tu, mon petit ? Mes yeux ne sont plus ce qu’ils étaient et je dois examiner cette... personne pour me faire une première opinion, réclama celui-ci.
Le jeune moine grimaça à l’expression « mon petit ». Quand est-ce qu’ils arrêteraient tous de l’affubler d’un tel surnom ? Il s’exécuta pourtant sans rechigner et éclaira mieux le fonds la cellule.
Ils purent constater l’état de saleté dans laquelle se trouvait la... chose par terre. Une forme dans des vêtements déchirés, sales et devenus informes. Deux bras tenus par des chaînes pendaient le long d’un corps décharné. Depuis combien de temps végétait-elle dans ce trou ? On ne supposait son sexe qu’à la longueur de ses cheveux, de longs cheveux collés et crasseux dont la couleur originelle était indéfinissable. L’odeur prit Thomas à la gorge. Sa main devant son nez, il retint difficilement des hauts-le-cœur.
La prisonnière, toujours immobile, semblait dormir – ou bien elle était déjà morte ! – sa tête penchée sur sa poitrine, le corps posé sur ses genoux repliés sous elle, ses bras maigres trainant par terre.
Sans marquer le moindre signe de dégoût, le vieux moine s’avança jusqu’à toucher la silhouette et d’une main sous le menton de la pauvresse, il lui souleva le visage.
Deux yeux d’un noir profond regardèrent alors les deux moines. Aucune frayeur. Ils n’exprimaient qu’une immense lassitude. Difficile de lui donner un âge tellement elle était sale, toutefois elle semblait plutôt jeune.
— Quel est ton nom, femme ? questionna Frère Anselme.
— ...
— Ton sort n’est pas encore fixé. Sache que le Grand Inquisiteur me laisse le pouvoir d’en décider seul. Je suis donc le seul rempart qu’il te reste entre ta liberté et l’emprisonnement à vie... Ou pire... , acheva le moine.
Le regard bienveillant du religieux sembla l’encourager à répondre.
— Sorsha, prononça clairement la femme, en regardant le jeune moine, cherchant sur son visage quelque chose qu’elle finit par trouver.
Un seul nom puis elle retomba dans son mutisme. Ne répondit à aucune des autres questions de Frère Anselme.
Comprenant qu’il n’en tirerait rien d’autre, il se décida à partir.
Il cogna sur la porte pour qu’on vienne leur ouvrir. Frère Thomas sortit le dernier lorsqu’une voix professa « le jour prochain viendra où l’oisillon devra décider ce qui importe le plus : rester sur sa branche pourrie ou quitter le nid et suivre son propre destin ».
Seul Thomas entendit l’étrange prédiction.
***
Les rêves du jeune moine furent peuplés de flammes, de corps calcinés survolés par de nuées de corbeaux dont les croassements le réveillèrent, trempé de sueur, le cœur tambourinant dans sa poitrine. Il eut mille peines à se rendormir et lorsque le sommeil vint de nouveau le cueillir, ce fut pour le plonger dans un autre songe.
Il courait dans une forêt aux arbres clairsemés, à la lueur d’une pleine lune dont l’éclat guidait ses pas derrière une ombre insaisissable. Il voulait la rattraper. Il devait la poursuivre. Cette dernière ne laissait flotter qu’une masse de filaments roux semblable à une chevelure flottant dans le vent. Sa course se termina brutalement au bord d’une clairière.
Perdu, essoufflé et perplexe, il scruta en vain les environs à la recherche d’une tache, d’un mouvement. Un bruit attira son attention. Se précipitant dans sa direction, il contempla, stupéfait, le plus majestueux des chênes qu’il n’eût jamais vu. Il adressa une rapide prière au Créateur pour le remercier de lui avoir permis d’admirer une si belle manifestation de sa Grandeur. A peine terminé sa louange, il entendit de nouveau un frémissement tout proche. Il se tourna vers l’endroit d’où semblait émaner le son. Lentement, il avança. Se rapprocha. Au pied d’un buisson, il hésita puis finalement, décidé, il tendit les mains en avant pour écarter les branchages. Surgissant au même instant, une forme bondit sur lui, lui arrachant un hurlement de frayeur. Le cœur de nouveau battant à tout rompre, affalé sur le sol, il assista paralysé au saut d’un animal sur lui. Se protégeant avec ses mains, le jeune homme se prépara à subir un choc. Qui ne vint jamais.
Tchac, tchac... Quel était ce bruit ? Tchac, tchac. Attendant la collision, intrigué par ce son, il ouvrit les yeux et son bec lança un cri silencieux. Il voletait tant bien que mal au-dessus d’un renard qui sautait pour essayer d’attraper l’oiseau qu’il était devenu. La panique le gagna. Quelle était cette diablerie ? Son corps chuta suite à l’arrêt du battement d’ailes. Le sol se précipita à sa rencontre mais il atterrit dans la gueule du renard, terrifié par ce qui lui arrivait.
Bam. Réveillé en sursaut, le jeune moine agita ses bras et ses jambes, croyant toujours être face au renard de ses rêves. Sauf qu’il était par terre, venant de basculer hors de son lit.
Un regard circulaire lui apprit qu’il était de nouveau dans sa chambre et qu’il venait de faire un rêve des plus étranges. Il prit le temps de se rassoir sur son matelas cherchant à rassembler ses esprits. Il comprenait que ses rêves étaient liés à l’étrange prédiction de la prisonnière dont les yeux noirs ressemblaient à s’y méprendre à ceux du renard. Mais que venait faire les corbeaux là-dedans ?
Il éprouva moultes difficultés pour se rendormir une dernière fois avant l’apparition de l’aube et des inévitables Matines qui l’accompagnaient. Il restait obnubilé par le noir profond des yeux de l’animal. Une fois de plus, il arriverait bon dernier à l’office.
***
Après les offices du matin, Frère Anselme décida d’entendre les témoignages à charge contre la possédée et ceux des victimes potentielles de la même soi-disant sorcière. Cela faisait beaucoup pour une simple personne. Il avait à cœur de découvrir la vérité afin de ne pas verser dans la vindicte populaire. Il éprouvait un sentiment de malaise en rapport avec la personnalité même du Grand Inquisiteur, fin politique à ses heures.
Il se rappelait parfaitement les évènements de 1296 lorsque plus de 900 personnes avaient été dénoncées pour hérésie puis arrêtées sur les ordres du précédent Inquisiteur de Carcassonne, Jean Galand [3].
Les troubles religieux causés ou jugés par l’Inquisition et ses membres – des fanatiques oui !– réveillaient le pire en l’être humain.
Ne voulant pas que son jeune compagnon soit perverti par les éventuels témoignages malsains qu’il allait surement écouter, un peu comme à confesse, il préféra l’envoyer s’occuper de cette pauvre enfant qui croupissait au cachot afin de lui apporter nourriture et eau pour qu’elle puise se laver. Il espérait que son jeune acolyte pourrait récolter ainsi quelques phrases. La jeunesse se livrait plus facilement entre elle.
Ainsi, sur les ordres de Frère Anselme, la paillasse de la condamnée avait été changée, améliorant considérablement l’odeur dans cet espace confiné. Le geôlier, furieux de se voir ordonner de mieux traiter ses prisonniers par deux moinillons étrangers, refusa cependant de l’installer dans une cellule plus saine et de lui enlever ses chaînes lorsque Thomas le lui demanda. Comme s’il était assez stupide pour laisser les mains libres à une sorcière pour qu’elle exécute ses démoniaques incantations. Non mais, que ces religieux étaient stupides et sans aucun sens du commun !
Frère Thomas suivit le gardien maugréant dans sa barbe, qui le guidait visiblement à contrecœur dans son territoire. Quel nom étrange pour une prison. Thomas trébucha sur une marche plus traîtresse que les autres, l’esprit contaminé par une appréhension croissante au fur et à mesure qu’il poursuivait sa descente dans les profondeurs de la prison.
Ses pensées dérivaient vers la captive. Le reconnaîtra-t-elle ? Sera-t-elle heureuse de le voir ? Heureuse !? Heureuse ? Comment pourrait-elle ressentir de la joie devant lui ? Ils n’étaient rien l’un pour l’autre. Et physiquement, il était quelconque, encore plus continuellement habillé avec cette robe qui ne laissait apparaître que son visage s’il portait la capuche comme ce matin. Il ne représentait qu’une figure de plus parmi les détracteurs de la prisonnière. Il en avait de drôles d’idées. Il secoua sa tête et s’obligea à revenir vers des pensées moins perturbantes, la récitation d’un autre Pater Noster par exemple.
Le jeune moine était sincère et ne voyait pas ce qui faisait de lui un jeune homme singulier. Il ne tenait pas compte des journées entières passées aux champs, qui avaient sculptées son jeune et vigoureux corps. Il était le plus grand des novices de son monastère et son allure altière imposait malgré lui un certain respect chez les autres. Attitude qu’il ne remarquait même pas. Il avait une manière de porter l’antique robe de bure avec la ceinture de corde qui mettait en valeur sa silhouette au lieu de la dissimuler derrière l’épaisse étoffe. Même sa récente tonsure ne dissimulait pas l’épaisseur de ce qui avait été une soyeuse chevelure aux tons châtains foncés, teinte qui faisait ressortir ses yeux couleur de miel ambré. Peu narcissique, il attirait bien malgré lui les regards envieux ou concupiscents de ses frères moins bien lotis que lui par Mère Nature.
Il était beau aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur.
Denrée extrêmement rare à l’époque.
La porte se referma violemment derrière lui, ne lui donnant pas la possibilité de réclamer une torche pour éclairer la pitoyable cellule. Ce mécréant de geôlier ne l’emporterait pas au Paradis pensa-t-il avant de se signer précipitamment. Il n’était pas dans ses habitudes de médire ainsi. Il ne devait pas se montrer aussi mauvais que cet énergumène. Laissant ses yeux s’habituer à la pénombre, il s’approcha de la jeune femme doucement. Il ne voulait pas l’effrayer.
Le jeune moine déposa les deux seaux d’eau qu’il portait depuis de longues minutes. Il grimaça sous la désagréable pression du sang qui circulait à nouveau dans ses paumes.
Un mouvement, des bruits de chaînes qui résonnèrent et une ombre se dressa devant lui le faisant sursauter. Deux mains firent glisser en arrière sa capuche puis attrapèrent délicatement sa main droite, déplièrent les doigts crispés et entamèrent un léger et méticuleux massage de sa paume, activant de nouveau sa circulation sanguine. Les yeux fixés sur ce spectacle, ébahi par ce geste inattendu, Thomas observait le léger mouvement des doigts caressant sa main. Il avait l’impression d’une tendresse particulière. La jeune femme termina sa main droite par une dernière caresse partant du creux de sa paume jusqu’à l’extrémité de son majeur, lui tirant un bref gémissement de... plaisir ? Il ne put s’appesantir sur cette pensée que la petite masseuse saisit sa main gauche, reproduisant les mêmes gestes.
Thomas déglutit bruyamment, passa sa langue sur ses lèvres sèches sans pour autant retirer sa deuxième main. C’était une sensation de douceur si agréable qu’il voulait, inconsciemment et égoïstement, en profiter encore un peu. Il ne voyait pas son visage tandis qu’elle s’appliquait à détendre ses muscles toutefois il aurait juré apercevoir un petit bout de langue dépassé d’entre ses lèvres, signe de sa concentration. Imaginer cette langue à la place des doigts fins qui caressaient sa paume...Il ferma les yeux. Hummm, oui... La décharge électrique de plaisir qui le traversa alors le fit de nouveau gémir et atteignit une partie de son corps qui prit soudainement vie. La stupeur de sa réaction physique le ramena sur terre. Mon Dieu, mais que lui arrivait-il ? Quel était ce phénomène ? Il n’avait jamais ressenti LE plaisir de cette manière et ne savait donc pas l’identifier comme tel.
Il avait beau être jeune, naïf et innocent, il avait déjà vu cette manifestation du membre viril masculin. Certes, il s’agissait alors d’une vision volée au détour d’une allée dans le parc du monastère toutefois, la finalité était semblable à ... cela. Il se rappelait parfaitement les deux frères qui se frottaient respectivement leur... sexe. Leurs robes soulevées, leurs mouvements silencieux mais énergiques, leurs visages grimaçants. Pour une fois, il s’était gardé d’en souffler mot, gardant pour lui son habituelle curiosité naturelle. Novice, il restait marqué par les enseignements spirituels, et parfois physiques, du très sévère et taciturne Frère Renaud.
Il lui était déjà arrivé de faire des rêves dérangeants, très perturbants, et de céder à la tentation. Une fois. Cependant, il avait eu si peur lorsque son corps avait craché cette espèce de liquide crémeux qu’il s’était lavé les mains plusieurs fois et avait réclamé plusieurs pénitences pour avoir cédé à la curiosité et péché par luxure.
La notion de plaisir lui était complètement étrangère et par conséquent il n’était pas adepte de l’onanisme pratiqué religieusement le soir, en cachette, par certains de ses coreligionnaires. La peur de terminer sa vie en enfer pour avoir succomber à la tentation de la fornication lui avait toujours suffit à maintenir à distance les pensées et actes impurs. Ce qui expliquait que ces moments-là ne lui manquaient pas puisqu’il ne connaissait pas l’extase d’une jouissance orgasmique.
Thomas conservait son âme pure. Toute sa jeune existence il l’avait vécu entre les murs de monastères silencieux, austères, où le respect des règles s’apprenait dans la douleur des punitions et pénitences octroyées par des moines zélés, proche d’un fanatisme chrétien courant à cette époque.
Le poids du regard de sa jeune Salomé ramena le jeune Thomas au présent. Il affronta enfin le visage serein de la prisonnière. Elle lui renvoyait un regard attentif, dénué de moquerie ou de passion, simplement en attente de sa réaction. Ils n’avaient toujours pas échangé une parole.
Frère Anselme lui avait demandé de veiller à ce que la jeune femme bénéficia d’un minimum de soins. Et c’était ce qu’il allait faire. Il en était capable. Ce n’était qu’une pauvresse. Attachée. Oui mais... C’était également une femelle, une supposée sorcière. Le Malin dressait-il sur sa route une épreuve ? La traverserait-il brillamment ?
Après tout il ne s’agissait que d’une toilette. Son intérêt pour la jeune femme n’était que purement informatif et donc légitime. Il aurait un compte-rendu à faire à Frère Anselme, il se devait de faire bonne impression à son mentor s’il voulait devenir son disciple. Son envie de satisfaire sa curiosité naturelle s’en trouvait ainsi habillement justifiée.
— Je vais te laver les cheveux en premier. Assieds-toi et penche la tête en arrière, se décida-t-il alors à lui demander.
Elle acquiesça d’un hochement de tête et s’exécuta, toujours en silence. Il se mit à l’œuvre, tremblant légèrement lorsqu’il versa l’écuelle d’eau froide sur la chevelure. Il avait ramené un vieux morceau de savon à base de cendres. Il réussit tant bien que mal à décrasser la masse grisâtre qu’il frottait entre mains, patiemment, essayant de ne pas regarder le visage et la courbe gracile du cou de celle qui se laissait laver avec une confiance certaine.
Après le dernier rinçage, il put admirer, malgré la pénombre, la couleur chatoyante de la chevelure propre. Au soleil, elle devait être éblouissante, d’un roux éclatant. Il regretta de n’avoir pas pensé à prendre un peigne ou une brosse. Il tacherait d’y penser pour la prochaine fois.
Hésitant sur la marche à suivre pour continuer la toilette, il se balançait d’un pied sur l’autre pestant de se sentir aussi nigaud que le premier idiot du village, ses pieds pataugeant dans l’eau qui stagnait sur le sol.
S’en tenir compte du jeune indécis, Sorsha secouait avec plaisir les mèches de sa chevelure, peignant grossièrement l’ensemble avec ses mains. Thomas arrêta son manège pour admirer le ballet sensuel des mains se noyant dans la masse de cheveux qu’elles essayaient de discipliner, secouant les mèches, rebelles ou non, qui retombaient comme au ralenti. Hypnotisé, il suivit le parcours des mains qui remontèrent sur la nuque puis le visage.
Sous le regard inquisiteur de la jeune femme, il se sentait privé de toute énergie, la contemplant en train de caresser son cou l’invitant à descendre son regard sur le reste de son corps. Elle interrompit son geste et commença alors à déboutonner ce qui lui servait de robe, le tissu glissant sur ses bras jusqu’à ce qu’il repose sur les chaînes, l’empêchant de tomber à terre.
Le pauvre Thomas ne pouvait détacher ses yeux du corps dénudé face à lui. Sans honte et sans fausse pudeur, elle lui offrait la possibilité d’admirer un paradis insoupçonné et inaccessible jusque-là. Il ne songea pas une seule fois à se tourner, à fermer simplement les yeux ou à se signer pour demander pardon au Seigneur de se laisser dévergonder à la vue de cette nouvelle Eve. Rendu muet par le spectacle offert à ses yeux écarquillés, il ne put que prononcer son nom
.
—... Sorsha...
Elle lui sourit simplement, l’invitant à poursuivre lui-même la toilette qu’il avait commencée.
— Tu es sûre... ?, la questionna-t-il presque timidement.
La jeune femme pencha doucement sa tête sur un côté, acquiesçant implicitement, lui offrant la douce courbe d’un cou à nettoyer.
Il attrapa maladroitement l’éponge, l’égoutta machinalement et il commença à lui laver le cou. Il s’y employa avec une tendresse qui le surprit lui-même. Consciencieusement, il entreprit d’effacer la moindre trace de saleté. Il mit ainsi à jour un visage constellé de minuscules taches de rousseurs, en harmonie avec la chevelure luxuriante de la prisonnière. Puis, les bras de la jeune femme savonnés et rincés, il interrompit sa méticuleuse besogne. Sa timidité naturelle l’empêchait de poursuivre son ouvrage plus en avant, n’ayant jamais vu ni touché de sa courte existence, les organes féminins si alléchants. Il ne pouvait s’empêcher de trembler. De crainte. D’anticipation ? D’émotion ? Il ne savait lequel avait le plus de poids.
La petite poitrine, jeune et ferme, l’attirait inexorablement néanmoins, il retardait le moment de s’y rendre, interdisant à ses yeux le moindre passage sur les objets de son attirance.
Sorsha prit l’initiative. Elle lui attrapa doucement, mais fermement, son menton pour lui redresser la tête.
–– Je te donne la permission de continuer. Ta pureté est digne d’être récompensée, Thomas. Ton hésitation t’honore là où d’autres n’auraient pas hésité à prendre ce qui les tentaient. Rien de ce que tu pourras faire dans ce cachot n’est mauvais. Dieu n’est-il pas amour ? Pour lui rendre cet amour, ne dois-tu pas expérimenter ce sentiment ?, tenta subtilement Sorsha pour convaincre le jeune moine confus.
— ... tu sais pourtant que cet amour n’est que spirituel... Mes vœux m’empêchent de découvrir ce que les hommes du peuple vivent quotidiennement..., réussit à s’exprimer un Thomas toujours rougissant et déconcerté, prêt à reculer devant la Tentation faite femme.
La jeunesse de ce corps face à lui, le port de tête fier et droit en dépit des conditions actuelles de la jeune femme l’impressionnait au-delà de toute commune mesure et surtout l’électrisante persuasion dont elle faisait preuve ne le laissait pas de marbre.
Il sentait son cœur s’emballer et sa respiration soulevait sa poitrine bien plus rapidement que nécessaire. De plus, il avait beau ignorer les petits tourbillons qui gigotaient dans son ventre, il ne pouvait cacher les signes de vie d’une certaine partie de son anatomie qui réagissait bien plus que la bienséance et ses convictions religieuses ne l’obligeaient.
–– N’ais pas honte des réactions de ton corps, continua Sorhsa en prenant les mains de Thomas pour les poser méticuleusement sur chacun de ses petits seins.
Pouvait-elle lire dans les pensées ? Cette idée effrayante et excitante fut effacée de son esprit par son geste inattendue. La sensation de douceur fut un choc pour l’innocent jeune homme. Il plongea ses prunelles dorées dans celles semblables à une nuit d’orage de la jeune femme. Il aurait pu jurer y voir des éclairs. Ses mains bougèrent, mues par une volonté propre. Elles épousèrent leur forme, caressèrent leur tendre courbe, frôlèrent les petits tétons qui se dressèrent bien vite sous la tendresse des attouchements.
Avec un sourire, Thomas ramassa de nouveau l’éponge pour poursuivre la toilette. Acceptant l’excitation qui le tenaillait, il céda aux délices de la découverte et de l’inconnu. Il bichonna plus qu’il nettoya la jeune femme. Il s’attarda sur les auréoles plus sombres. Il sourit lorsqu’un téton se durcit sous la fraicheur de la caresse. Ne voulant pas faire de jaloux, il s’occupa pareillement du jumeau notant les réactions de leurs deux corps si proches, si différents.
Il avait l’impression de rendre grâce en même temps devant tant de merveilles. Et tandis que sa main droite poursuivait sa douce corvée, la main gauche, elle, se complaisait en caresses, éprouvant le poids d’un sein, malaxant la chair ferme, pinçant un petit téton joueur qui pointait fièrement entre ses doigts.
Il nota comment ses mains couvraient entièrement les adorables poires. Le contraste de sa peau tannée par le soleil, sur celle maintenant si pâle de la jeune femme lui semblait un spectacle dont il ne se lasserait jamais. Et surtout, il lui prenait des envies de les goûter.
Sorsha souriait de le voir si attentif à ses réactions et si beau dans sa concentration naïve et pleine d’une innocence juvénile. Elle soupira doucement, son corps tendu en avant, pressant sa poitrine plus fortement dans les mains devenues plus aventureuses. Un gémissement lui échappa lorsqu’un aiguillon de plaisir la traversa alors qu’une langue se décidait à taquiner un téton tentant.
En dépit de son ignorance, le jeune moine possédait l’instinct propre à ses congénères masculins. Il était des gestes immuables que Mère Nature léguait à tous ses enfants. Sorsha se félicita d’en être le déclencheur chez son jeune partenaire.
Le temps et l’espace n’avaient plus de prise sur eux.
Thomas avait conscience de rompre ses vœux de chasteté mais là, maintenant, il s’en moquait fichtrement. Il avait l’impression d’être enfin à sa place. Mon Dieu, il comprenait pourquoi on leur cachait l’ivresse de tant de félicité et pourquoi l’Eglise dénigrait avec autant de force la femme dans ses discours.
En vérité, il était difficile voire impossible de résister à tant de charmes. Où étaient la luxure et la dépravation dans cette douceur sensuelle ? Devait-il renoncer à cette félicité ? Oui, surement s’il comptait finir desséché comme Frère Renaud. Pensait-il être devenu un débauché ? Que nenni ! Ce qui lui arrivait dans ce cachot était bien trop beau pour cela.
La fine toison annonçant la partie défendue de son anatomie lui parut aussi attrayante que la quête du Saint Graal aux Chevaliers de la Table Ronde. Après l’avoir elle aussi purifiée de toutes impuretés, il accéda enfin au secret ultime, loin d’y voir cette descente aux enfers que prêchait le Frère Confesseur.
Encore un peu intimidé par cette exploration, il préféra faire machine arrière et terminer le lavage des jambes qu’il découvrit recouvertes d’un fin duvet roux. Avec minutie, il s’appliqua sur les pieds et les petits orteils retardant le moment de remonter vers sa féminité si proche. Il comprenait que Marie-Madeleine se soit portée volontaire pour laver les pieds de Jésus. D’ailleurs, elle avait surement eu de tendres sentiments à l’égard du Saint-Homme pour accepter de pratiquer un tel geste[4]. Avait-elle ressentie, elle aussi, ce plaisir grandissant ? Où chaque orteil devenait un objet d’adoration de l’être désiré.
Il découvrait les joies et les délices des préliminaires.
Cependant, il n’était pas totalement prêt à lâcher prise, à oublier les préceptes appris depuis si longtemps. Les ablutions étaient terminées et il s’évertuait à promener l’éponge de-ci, de-là, retardant encore une fois l’inévitable.
***
La jeune prisonnière – non, Sorsha – était maintenant propre et présentable. Il faudrait tout de même lui remplacer sa misérable guenille. Il pourrait partir, appeler le gardien, lui tourner le dos et attendre tranquillement la prochaine visite, accompagné de Frère Anselme.
Oui, il pourrait. Mais... le voulait-il ? Il secoua sa tête. Non, bien sûr que non ! Il ne désirait aucunement partir. Il n’était pas un pleutre. Il avait toujours l’habitude de terminer ce qu’il commençait. Et ce n’était pas aujourd’hui qu’il allait rompre cette règle. « Tu parles », lui chuchota une petite voix diablotine, « admets plutôt que tu veux découvrir ce qu’on vous dissimule, vous les jeunes novices. Le pouvoir de la chair ! La faiblesse de l’homme devant la traitrise féminine ! Et puis toi, tu ne risques rien puisque cette diablesse est attachée... » La voix de sa conscience était fort bien renseignée, il dut en convenir. Elle lisait en lui comme dans un livre.
De toute manière, il était trop tard pour reculer. Thomas était un jeune homme foncièrement honnête. Sorsha l’attirait bien plus que ne l’aurait fait n’importe qu’elle femme. Peut-être était-ce justement son pouvoir de sorcière ? Attirer à elle les jeunes hommes imprudents pour les faire tomber dans ses filets maléfiques ? Non. Non, elle n’était pas de celles-là. Son regard, toujours posé sur lui, n’était en rien le signe du Malin.
Il admirait les traits d’une femme magnifique dont il découvrait sa beauté simple mais si enivrante que cela en devenait une obsessionnelle convoitise. Il n’aurait pas été étonné si la concupiscence de certains hommes ne les auraient pas poussé à vouloir posséder son jeune corps. A vouloir la faire plier à leurs désirs. Les gros dégoutants ! Il faudrait qu’il en parle à Frère Anselme, il tenait peut-être une piste d’explication sur la présence de la jeune femme dans cette prison.
Sorsha ne bougeait pas, lui laissant finir son introspection, appréciant le manège inconscient des doigts du jeune moine sur son corps. Il viendrait à elle, corps et âme. C’était écrit dans les astres et les signes ne lui avaient jamais menti. Elle avait enduré sa captivité avec résignation, sachant que son calvaire prendrait fin avec son arrivée.
Elle lui confia d’ailleurs son secret, en collant sa poitrine contre le torse de Thomas.
— Je savais que tu viendrais bien avant de voir ton visage, lui murmura-t-elle, au creux de l’oreille. Notre chemin est déjà tracé et notre destin ne nous appartient plus.
La chaleur soudaine de son bas-ventre réagit aux sensations de sa chevelure effleurant son visage. Il oublia qu’il aurait dû s’inquiéter, s’écarter de cette femelle et partir dénoncer son influence maléfique sur le pauvre petit moine qu’il était. Sauf que... Il n’était aucunement inquiet. Il avait levé le voile de l’ignorance qui pesait sur lui et il n’entendait pas l’y remettre.
Il gémit lorsqu’elle encadra son visage de ses mains et approcha inexorablement sa bouche de la sienne. C’était son premier baiser. Loin d’en être dégouté, il savourait la nouveauté, l’étrange sensation. Les lèvres humides de Sorsha l’encourageaient tendrement à participer lui aussi à ce doux ballet. Sous la pression de petits coups de langue incisifs, il entrouvrit les siennes. Le contact de leurs deux langues ouvrit les portes au véritable Thomas.
Aujourd’hui il comprenait que Dieu ne leur avait pas attribué de membre sans raisons et que cet appendice qui avait une vie propre n’était-ce pas l’œuvre du diable. Tout avait une juste place, une juste utilité.
L’homme, et l’Eglise, s’étaient alors débrouillés pour détourner les paroles d’amour divines pour en édicter des lois favorables à certains et au détriment d’une partie du peuple de Dieu. Pauvres humains qui restaient dans l’ignorance.
Thomas commençait à avoir une vision réelle du monde cependant, il avait encore du chemin à faire pour en comprendre toutes les subtilités. Mais il fallait bien un début à tout ?
Il s’abreuvait maintenant de leurs deux salives mélangées, source inépuisable de douceur, de saveurs.
Il lâcha la bride à ses émotions, ses désirs, abattant les dernières barrières, se livrant corps et âme à sa partenaire. Il devenait acteur consentant et non repentant de cette étreinte. Il n’y aurait pas de marche arrière possible, le point de non-retour venait d’être dépassé.
Après une telle décision, il méritait bien de s’accorder une récompense pour se dévouer aussi consciencieusement à son nouvel apprentissage. Il céda à sa curiosité naturelle, descendit ses mains sur la taille de Sorsha pour l’attirer à lui. Il se montra encore une fois bon élève. Il savait qu’en ce domaine il avait encore tout à étudier.
Leurs baisers devinrent vite fougueux, voraces. Entravée, Sorsha éprouvait mille difficultés à le caresser. L’impatience et l’insatisfaction la rendait encore plus insatiable. Elle mordit une lèvre, griffa une épaule. Thomas, que ce déchaînement de passion impressionnait, décida de prendre en main sa propre initiation et repoussa la jeune femme pour qu’elle s’allonge par terre. Il fit attention à s’éloigner le plus possible des flaques d’eau.
Doucement, il lui prit les mains et les posa sur les chaînes, au-dessus des anneaux qui l’entravaient.
— Laisse-moi te découvrir et profiter des charmes que tu m’offres si généreusement. C’est ma manière à moi de te rendre grâce du cadeau que tu m’offres.
Et Sorsha devint l’objet exclusif de son adoration.
***
Après avoir effleuré, frôlé, embrassé ce corps, il était si excité qu’il se sentait sur le point d’exploser. Pourtant, il lui restait encore un lieu à visiter. Le sanctuaire. Le Saint Graal de la féminité toute puissante, chanté par les troubadours, vilipendé par les religieux.
Il laissa ses mains poursuivre l’exploration pendant qu’il reprenait sa respiration. Il en profita pour observer les vagues de plaisir qui faisaient ondoyer le corps de la jeune femme. Vibrante sous ses caresses, elle se mordait la lèvre inférieure pour ne pas crier son émoi. Sa tête dodelinait doucement de droite à gauche.
Il était lui-même au supplice, son sexe le lançait douloureusement, réclamant l’assouvissement. Oui, mais lequel ? Ses doigts dépassèrent le mont Vénus et trouvèrent l’entrée de la grotte sacrée. La moiteur qu’ils rencontrèrent le frappa autant que le regard soudainement fiévreux que lui accorda Sorsha.
Il descendit pour mieux appréhender ce mystère. Avec une douceur extrême, il écarta cette deuxième paire de lèvres, encore plus colorées et gonflées que celles qu’il avait précédemment embrassées. Il ausculta minutieusement le moindre recoin. À genoux, il plongea la tête dans la douce toison pour apprécier son parfum d’Eve. Ses yeux s’animèrent à la vue d’un petit bourgeon de rose. Un mouvement du bassin de Sorsha amena la fleur à son visage si proche qu’il n’eut qu’à ouvrir la bouche pour l’attraper. Le soupir d’extase de Sorsha résonna dans la cellule, emplissant ses oreilles d’une charmante musique.
Naturellement, il répondit à l’appel de la passion. Il lécha, aspira, plongea la langue dans l’intimité de son amante. Il découvrit que ce petit bout de chair rose grossissait également sous l’excitation.
— Thomas, Thom... Oui... Mon Dieu... Encore... Continue...
Elle n’arrivait plus à s’exprimer. Les mots la fuyaient sous l’intensité des caresses du jeune homme. Son bassin bougeait de plus en plus vite, bousculant Thomas, lui enlevant de la bouche son butin qu’il venait reconquérir avec ardeur. Il sentait que Sorsha approchait du point culminant. La tension était à son paroxysme. Une de ses mains malaxait peut-être un peu brutalement l’un des seins mais aucun des deux n’y prêtait attention.
La litanie sans fin de Sorsha reprit de plus belle, grimpant dans les aigus jusqu’à ce qu’une ultime aspiration la délivre. Les muscles de son vagin se crispèrent compulsivement sur le doigt que Thomas y avait glissé intuitivement. Surpris, il se rendit compte que la jouissance de la jeune femme se manifestait par un léger écoulement qui vint terminer sa course sur sa langue.
Il buvait à la source le nectar divin. Le sang du Christ pouvait coaguler dans son calice. Lui venait de goûter l’élixir de vie. Blasphémer de la sorte ne lui faisait plus peur. Sa vocation de moine venait de prendre fin pour son plus grand bonheur.
Son propre membre avait atteint une taille non égalée jusqu’à aujourd’hui. Il sentait une légère humidité sur le revers de sa bure.
Il avait envie... Envie d’elle. De plonger dans ce sanctuaire qui l’appelait de façon si odorante.
— Allonge-toi, Thomas. C’est à mon tour de te montrer le paradis, prononça Sorsha, si provocante dans sa nudité, si séduisante, si savante de ces choses mystérieuses.
Oui. Sorsha savait, elle, ce qui lui manquait pour satisfaire son corps, son cœur et son âme.
Il se laissa glisser au sol sous la jeune femme, remonta précipitamment sa bure avant que sa magnifique initiatrice ne s’assoit à califourchon sur ses jambes et prenne son membre dans sa bouche, sans préavis.
Il en oublia de respirer. Sainte-Mère de Dieu ! Quel... Quel... Le Paradis ! Il venait de découvrir une des clés du Paradis.
Chaleur. Humidité. Douceur. Roideur. Un amalgame de sensations faisaient chanter son corps.
Une danse ancestrale lui fit bouger le bassin, enfonçant son sexe dans la bouche qui ne rechignait pas à la besogne. Il apprenait en même temps qu’elle l’art et la manière d’une fellation minutieuse et gourmande. Elle le dégustait avec délice et appétit, y mettant tout son cœur et son savoir-faire. Les mains crispées sur la tête de la jeune femme, Thomas vivait l’un des plus magnifiques instants de sa vie, reléguant aux oubliettes la tiède satisfaction ressentie lors sa cérémonie de prononciation de ses vœux. Aujourd’hui était sa véritable intronisation. Il se sentait vivant, en osmose avec son lui authentique. Il désirait... Il sentait... que cela venait !
— Sorsha... Sorsha ! J’ai besoin de... je voudrais...
Le trop plein d’émotions lui faisait perdre également ses moyens et sa locution.
— Je sais ce que tu veux, mon tendre amour ! Laisse-moi te délivrer...
Effectivement, ce fut une incroyable délivrance. Sorsha lui prodigua un dernier soin particulier avant que la jouissance de Thomas n’explose dans le tendre réceptacle de sa bouche et qu’elle ne lui retourne la faveur d’une déglutition personnalisée du fruit de ses entrailles.
Ils étaient tous les deux échoués sur le lit de paille. Encore dans les brumes de l’extase. Le corps de Thomas roula sur le côté, enveloppa tendrement celui de Sorsha, en faisant attention de ne pas la blesser avec ses chaînes. Repoussant délicatement une mèche de cheveux derrière une oreille, il lui souffla
— Je ne les laisserais plus te faire du mal. Je te protégerais...
Un doigt sur ses lèvres l’arrêta.
— Tu ne peux me protéger contre la haine et la jalousie de ceux qui redoutent mon pouvoir de double-vue. L’Inquisiteur me craint et me désire à la fois. Et ce qui le fait doublement enrager c’est que je n’ai pas cédé à ses avances. Il est blessé dans son orgueil. C’était un homme méchant avant, là il est devenu encore plus mauvais. Cet héritage maternel sera ma perte, je le sais. Il a profité d’une de mes crises de tremblements[5] pour me dénoncer comme sorcière. Mais si tu veux mon bonheur, sache que te savoir en vie, loin de la folie des humains et des ces fanatiques me comblera.
Du doigt, elle lui caressait le visage semblant s’imprégner du moindre de ses traits pour les graver dans sa mémoire.
— Non, tu ne comprends pas Sorsha. Ne me demande pas l’impossible. Si je ne peux demeurer avec toi, il m’importe peu de vivre ou de mourir maintenant que je t’ai trouvé.
Il allait poursuivre lorsqu’ils entendirent des bruits de clés résonner dans les couloirs, accompagnés d’autres bruits sourds et indéfinissables.
Deux secondes suffirent pour qu’ils se redressent. Il l’aida à se rhabiller aussi convenablement que le permettait ses guenilles.
La serrure tourna et la porte s’ouvrit sur un geôlier paniqué.
— Mon Frère ! Vous devez sortir d’ici et nous emmener à la Tour de la Cité le plus rapidement possible. C’est la débandade en ville ! Le peuple et les notables se révoltent contre les dernières arrestations de l’inquisiteur. S’il leur prend l’envie de venir libérer les détenus et de brûler La Mure, je ne suis pas sûr qu’ils nous épargnent... Dépêchez-vous ! Il n’y a pas une seconde à perdre !
Thomas arracha son bras de la poigne du gardien.
— Libérez Sorsha et je nous emmène tous les trois là-bas, lui intima-t-il.
Interloqué, le gros homme refusa net de s’encombrer d’une femelle malfaisante. Le sang du jeune homme ne fit qu’un tour. Alors que le bougre tournait le dos pour sortir de la cellule, il attrapa un des seaux d’eau qui trainait par terre et l’envoya directement contre la tête de cette brute sans cœur. Assommé par le choc, il s’écroula à terre bruyamment. Thomas, la force de l’habitude, se signa en demandant pardon au Tout-Puissant pour cet acte de violence gratuit. Puis, il lui arracha des mains son trousseau de clés et commença à toutes les essayer pour ouvrir les cadenas des chaînes. Fébrile, il avait du mal à s’empêcher de trembler. A force de persévérance, il trouva la bonne et libéra enfin la jeune femme.
L’adrénaline courait dans leurs veines et la peur de l’inconnu aurait pu les plonger dans l’angoisse. Mais non, ils succombèrent au plaisir de pouvoir se prendre dans les bras. Ils s’embrassèrent comme des amoureux sur le point d’être séparés à jamais. Thomas se recula le premier, l’attrapa par la main et ouvrit la marche vers la sortie.
Les mots n’étaient pas nécessaires entre eux. Ils débouchèrent dans la cours principale de la prison que la foule était en train d’envahir. Tout le monde s’immobilisa. Le face à face dura l’espace d’un soupir avant que Thomas ne brandisse le trousseau de clé en hurlant.
— Voici les clés qui libéreront vos frères !
Un homme s’approcha, les attrapa avant de s’élancer dans les profondeurs de la prison suivis des acclamations du reste des insurgés. Ces derniers se scindèrent en deux passant de chaque côté du couple, ne leur accordant plus aucune importance.
Libres ! Ils étaient libres !
Toujours main dans la main, ils traversèrent les rues et ruelles de Carcassonne, apercevant au loin les flammes d’un incendie qui ravageait les bâtiments de l’Inquisition. Plus loin, au détour d’une allée, Thomas aperçu la silhouette de Frère Anselme aux prises avec plusieurs individus. Les deux hommes se regardèrent. Frère Anselme contempla les deux jeunes gens, mains liées et bras autour de la taille. D’un bref mouvement, il inclina la tête, accordant sa bénédiction à Thomas et entraina ses agresseurs plus loin dans la ville, permettant aux tourtereaux de s’enfuir sans danger.
Sortis de la ville, ils continuèrent à courir jusqu’à la lisière de la forêt. Epuisés, essoufflés, ils firent une pause à l’abri d’un arbre.
— Nous ne sommes pas encore en sécurité. Viens, je connais un endroit où nous serons en sureté, articula la jeune femme.
Ils repartirent en marchant cette fois. Thomas faisait confiance à Sorsha pour les conduire là où ils pourraient vivre ensemble, loin de l’agitation de la ville. Ils dormirent au creux d’un arbre, dans la chaleur de leur deux corps réunis. Le lendemain après-midi, affamés en dépit des baies avalées sur le chemin, ils débouchèrent sur une petite clairière au milieu de laquelle trônait un arbre immense. Un magnifique chêne, identique à celui de son rêve.
Ils étaient chez eux.
Au pied de l’arbre, il aperçut un drôle de spectacle. Un corbeau posé sur le dos d’un renard. L’étrange couple fit le tour de l’arbre avant de disparaître mystérieusement.
— Sorsha ! Tu as vu ?
— Vu quoi ?
Lorsqu’il se tourna vers elle pour lui expliquer, il resta sans voix devant la beauté de sa compagne que la lueur du jour rendait encore plus ravissante. Sa chevelure de feu encadrait son visage rehaussant sa pâle carnation. Tant de douceur lui semblait impossible. Qu’elle soit sienne tenait du miracle. Pour rendre grâce, il ne trouva pas mieux que de l’embrasser mettant à profit la leçon reçue la veille.
Le Seigneur lui donnait son absolution par l’intermédiaire de cette étrange vision. Il lui rendait sa liberté. A lui d’en être digne.
Les voies du Seigneur étaient impénétrables...
Fin
[1] Vœux simples (temporaires) par opposition aux vœux solennels (perpétuels). [2] Oblat : Enfant qui était autrefois consacré à Dieu et donné par ses parents à un monastère. En l’occurrence, pour Thomas, ses parents s’étaient débarrassés d’une bouche supplémentaire à nourrir... [3] Près de 900 personnes en grande majorité des dignitaires ecclésiastiques, des nobles et des personnalités de premier plan, originaires de Carcassonne et de sa région. Les archives de l’Inquisition ont échappé par deux fois à des tentatives de destruction par le feu... [4] N’y voyez que l’envie de l’auteur de croire à la véracité du Da Vinci Code ! [5] Crise d’épilepsie
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